La gorge et le cou
Une organisation des racines de l’arabe classique
construites sur les étymons {ǧ,r} et {q,l}
à Federico Corriente
Sommaire
Introduction
Chapitre 1. Les désignations de la gorge et du cou
Chapitre 2. La fonction ingestive de la gorge
Chapitre 3. La fonction vocale de la gorge
Chapitre 4. La fonction giratoire du cou
Chapitre 5. La fonction vitale de la gorge et du cou
Chapitre 6. Les métaphores de la gorge et du cou
Chapitre 7. Les racines réapparaissantes
Chapitre 8. Les parallélismes sémantiques
Conclusion
En marge
Bibliographie
Date de mise en ligne : janvier 2019
Note préliminaire :
Les quelques lignes qui suivent explicitent notre sous-titre. Elles sont donc sans intérêt pour ceux de nos lecteurs qui sont familiers de la Théorie des Étymons et Matrices de Georges Bohas ou qui ont lu la plupart de nos précédents travaux.
Qu’entendons-nous par « les racines construites sur les étymons {ǧ,r} et {q,l} » ? De quel type de racines s’agit-il ? Tout simplement des racines dont, par exemple pour le premier étymon, le ǧ et le r sont obligatoirement deux des consonnes qui les constituent, quelle que soit leur position dans la racine. Cela dit, seules les racines ne comportant que ces deux consonnes – et éventuellement un glide – sont construites sans ambigüité sur le seul étymon possible. (NB : Afin que le lecteur puisse les repérer plus facilement, les racines non ambigües sont en rouge dans le texte.) Toutes les autres, qu’elles soient tri- ou quadriconsonantiques, sont dites « ambigües » car elles pourraient aussi être construites sur l’un ou l’autre des deux autres étymons théoriques possibles. On verra que cette ambigüité est souvent réduite sinon annulée par une plus ou moins grande proximité sémantique. Ainsi, sachant que la racine non ambigüe جرّ ǧarra signifie "extraire" et que la forme IV de جرذ ǧaraḏa signifie aussi "extraire", il y a une très forte probabilité pour que l’étymon de جرذ ǧaraḏa IV soit {ǧ,r} plutôt que {ǧ,ḏ} ou {ḏ,r}. Pour être plus exact, notre sous-titre devrait donc être celui-ci : « Une organisation phono-sémantique des racines de l’arabe classique effectivement ou probablement construites sur les étymons {ǧ,r} et {q,l} ». Mais ce serait un peu long, même pour un sous-titre.
Introduction
Au cours de l’hiver 2017-2018, Michel Masson intervint dans plusieurs séances du GLECS(1) pour y rendre compte d’une sienne recherche sur les sémantismes de la racine sémitique GWR à partir de la notice que le Dictionnaire des racines sémitiques (désormais DRS) consacre à cette racine, p. 109 du fascicule 2. Dans la foulée de ces séances, et avec le secret espoir de trouver des réponses à certaines des questions posées par Masson à son auditoire en même temps qu’à lui-même, nous avons eu la curiosité de consulter dans le même ouvrage la notice consacrée à la séquence GR-, p. 175 du fascicule 3. En voici l’essentiel :
Séquence consonantique qui entre dans la constitution de plusieurs séries de racines dont chacune présente une ou des valeurs communes à l’ensemble de la série : 1. La désignation de la « gorge », du « gosier », et l’expression des notions connexes d’« avaler, engloutir », etc. [...]. 2. La dénomination apparemment onomatopéique de bruits produits par la gorge, la bouche, [...]. 3. La notion de « rondeur » > « rouler », etc. [...]. 4. La notion de « couper » > « enlever », « arracher », « casser », etc. [...]. 5. La notion de « couler » [...].
Pour vérifier ce qu’il en était de la seule langue arabe, nous avons alors constitué un corpus de racines(2) effectivement ou probablement construites sur l’étymon {ǧ,r}, dans lesquelles il nous est apparu que la gorge – ou le cou, qui en est la face extérieure – était effectivement la partie du corps la plus souvent citée, soit explicitement, soit – le plus souvent – par l’intermédiaire de dérivés correspondant à nos gorgée, égorger, col, collier, encolure, etc. On trouvera tout au long de cette étude de nombreuses raisons d’associer la gorge et le cou ; notons que le substantif نغنغ nuġnuġ, hors corpus, cumule les deux sens de "gorge, canal de la gorge" et de "collier du coq, plumes du cou chez le coq". Mais نغنغ nuġnuġ est un mot rare, peut-être même obsolète(3). Nous étions davantage gêné de ne pouvoir prendre en compte un mot aussi usuel que حلق ḥalq : comment parler ici de la gorge sans que ce mot y apparaisse autrement que dans une brève remarque ?
Or, parallèlement, et un peu par hasard, nous avions entrepris une étude sur quelques racines arabes du dire et du parler, dont la racine قول √qwl. En avançant dans notre recherche, nous avons constaté une étonnante série de parallélismes sémantiques entre les dérivés de racines construites sur l’étymon {ǧ,r} et ceux de racines construites sur l’étymon {q,l}, ce qui nous a amené à la constitution d’un deuxième corpus de racines effectivement ou probablement construites sur cet étymon, un corpus au sein duquel la racine حلق √ḥlq avait alors sa légitime place.
C’est ainsi qu’en nous inspirant des matrices phono-sémantiques réalisées par Bohas et Saguer dans Le son et le sens(4) à partir de certaines parties du système phonatoire, nous avons élaboré une organisation de notre corpus essentiellement fondée sur les fonctions et la forme de la gorge et du cou(5). On verra comment cette organisation permet de comprendre la diversité et la richesse des racines rencontrées, de vérifier une fois de plus que sous des dehors apparemment anarchiques, il règne au sein du lexique de l’arabe une grande unité, un vaste réseau de formes et de sens systématiquement tissé par l’usage au fil des siècles.
Nous ne sommes évidemment pas en mesure d’établir une chaîne sémantique qui irait de la source – un cri ? une onomatopée ? – jusqu’aux acceptions les plus récentes. Nous le sommes d’autant moins que l’évolution des mots, aussi bien dans leurs formes que dans leurs sens, ressemble plus à une longue et animée partie de billard qu’à l’écoulement d’un fleuve tranquille : les mots ne cessent de se rencontrer, de s’associer, de s’influencer mutuellement, comme les langues de s’en emprunter. Par le jeu des troncations et des ajouts d’infixes, de préfixes et de suffixes, les locuteurs en modifient sans cesse les formes ; des métaphores en cascade, parfois des erreurs, en portent les significations à des distances qui n’autorisent plus la remontée dans le temps ou la rendent très difficile. Nous verrons par exemple qu’il existe une relation métaphorique forte entre la notion de gorge et celle, plus générale, de trou ou d’orifice. Mais il est très difficile de savoir dans quel sens la métaphore a fonctionné. La gorge n’est-elle qu’un trou parmi les autres ou est-ce une gorge ou une bouche que l’homme voit dans chaque trou comme semble plutôt l’indiquer une vision anthropomorphique du monde assez répandue dans les sociétés primitives ?
Quoi qu’il en soit, comme il faut bien commencer une étude par quelque chose, nous suivrons l’exemple de la notice GR- du DRS en partant des désignations « de la gorge, du gosier et l’expression des notions connexes d’avaler, engloutir, etc. ». Nous suivrons également la démarche adoptée par Bohas et Saguer dans leurs chapitres du nez et de la langue, à cette différence près que nous ne parlerons pas de « matrice » ; ce serait prématuré. Nous nous contenterons de suivre les deux fils conducteurs suffisamment riches que sont les étymons {ǧ,r} et {q,l}, même si nous avons d’ores et déjà repéré que d’autres étymons feraient de bons candidats pour participer à l’organisation phono-sémantique que nous allons maintenant présenter. Un seul exemple, l’étymon {q,n} : comment ne pas en constater la présence aussi bien dans عنق ‛unq "cou" que dans خنق ḫanaqa ou شنق šanaqa "étrangler" et نقنق naqnaqa "glousser" ? On voit qu’un prolongement possible est déjà en vue ; il y en a d’autres, ne serait-ce que {ġ,n} présent sans ambigüité dans نغنغ nuġnuġ vu plus haut.
Après une première partie consacrée aux deux principales désignations de la gorge, à savoir حنجر ḥanğar et حلق ḥalq, nous nous intéresserons successivement à ses deux fonctions principales : la fonction ingestive et la fonction vocale ; nous poursuivrons par les deux fonctions principales du cou : la fonction giratoire et la fonction vitale ; et nous terminerons par la partie du réseau sémantique la plus complexe, à savoir les nombreuses extensions sémantiques qui, à partir de la forme allongée et resserrée de la gorge et du cou, en viennent, par le jeu des métaphores et le foisonnement des extensions et généralisations, à désigner divers objets et notions.
Notes
1. Groupe Linguistique d’Études Chamito-Sémitiques.
2. Formes et sens trouvés dans le dictionnaire de Kazimirski, à quelques exceptions près.
3. On le trouve encore chez Belot avec le sens de "partie de la gorge près de la luette".
4. Voir « Bohas et Saguer » dans la Bibliographie.
5. Sur le rôle des parties du corps dans l’élaboration du lexique, voir Robin Allot, The Physical Foundation of Language (1973). Cet ouvrage est souvent cité par Georges Bohas.
Chapitre 1. Les désignations de la gorge et du cou
1.1. حنجر ḥanğar
S’il est en arabe un terme en GR- désignant la gorge qui s’impose d’emblée, ce ne peut être que حنجر ḥanğar. Le mot n’est pas isolé, il a quelques dérivés que Kazimirski ne sait pas très bien à quelle racine rattacher : il en rattache un premier groupe à la racine حجر √ḥǧr (I, p. 382)
حنجر ḥanğar, حنجرة ḥanğara gorge, gosier ; gorge de montagne
حنجور ḥanğūr gorge, gosier ; petit panier ; flacon pour les aromates avec lesquels on lave le corps des morts
... et un deuxième à une supposée racine حنجر √ḥnğr (I, p. 501) :
حنجر ḥanğara égorger ; s’enfoncer dans son orbite (œil)
حنجرة ḥanğara, حنجور ḥunğūr larynx
حنجريّ ḥanğariyy guttural (lettre)
La première idée était la bonne : cette “racine” حنجر √ḥnğr est évidemment issue de حجر √ḥǧr par infixation d’un n en deuxième position. Le phénomène est trop bien connu(1) pour qu’il soit nécessaire de nous attarder sur ce point, mais notons au moins cette autre paire similaire, extraite de notre corpus :
عجر ‛aǧara tourner le cou – عنجورة ‛unǧūra étui à flacon
Cette racine حجر √ḥǧr, qui est donc la vraie racine du nom حنجر ḥanğar et de ses dérivés, celle qu’il nous faut donc soigneusement observer, est trop riche pour être reproduite in extenso ; nous avons sélectionné les items les plus représentatifs de ses divers sémantismes :
حجر ḥaǧara empêcher quelqu'un d'approcher, lui interdire l'accès – II. être entouré du halo (lune) – IV. couvrir, cacher – V. être dur envers qqn – VIII. se réfugier chez qqn
حجر ḥaǧr orbite de l’œil ; giron, sein ; protection, tutelle ; parties de la génération (de l’homme ou de la femme) ; colline sablonneuse
حجر ḥiǧr mur, muraille ; trou de souris ou de serpent ; digue ; parenté, liens du sang ou d’alliance
حجر ḥaǧar pierre
حاجر ḥāǧir plateau élevé et renfoncé au milieu ; haie
حاجورة ḥāǧūra jeu qui consiste en ce qu’on cherche à attraper la personne qui est au milieu du cercle formé par ceux qui jouent
حجرة ḥaǧra côté ; vestibule
حجرة ḥuǧra enclos pour les chameaux ; cabinet, cellule, chambre ; tombeau ; plage
محجر maḥǧar pourtour, circonférence (d’une ville) ; territoire
محجر maḥǧir, miḥǧar verger, parc ; orbite, cercle de l’œil ; alentour, pays autour d’un bourg
Notons quelques-uns de ces mots : empêcher, cacher, se réfugier, trou, cercle, ... ; nous les retrouverons.
Un dernier point : la racine حجر √ḥǧr étant ambigüe, qu’est-ce qui nous permet de la considérer comme construite sur l’étymon {ǧ,r} ?
Pour la séquence GR, nous avons la caution du DRS, avec d’autres témoins comme
جرير ǧarīr licou, bride
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux en guise d’ornement
... tous deux dérivés de جرّ √ǧrr, racine non ambigüe, et quelques autres mots dérivés de racines formellement ambigües mais sémantiquement rapprochables, comme عجر ‛aǧara "tourner le cou" vu plus haut, et aussi
جربان ǧirbān col, collet
جردح ǧardaḥa allonger le cou
جرعة ǧur‛a gorgée
جرم ǧirm gosier
جران ǧirān bas de l’encolure
ساجور sāǧūr collier (en cuir ou en fer)
هجار hiǧār chaîne portée au cou en guise d'ornement
جذر ǧaḏr, ǧiḏr base du cou
Pour la séquence RG, nous sommes malheureusement un peu démuni en ce qui concerne les désignations directes ou indirectes. Nous ne disposons que de حرج ḥirǧ "collier de coquillages" et de مرجان marǧān "corail ; collier de corail". Mais, pour ce dernier mot, il ne s’agit peut-être que d’un hasard, surtout si le sens de "corail" est premier(2). Il nous faudra donc avancer plus loin dans notre étude pour trouver des racines ambigües mais indubitablement concernées par notre sujet comme رجس √rǧs, رجع √rǧ‛, رجل √rǧl, رجم √rǧm et quelques autres.
1.2. حلق ḥalq et حلقوم ḥulqūm
Ne nous attardons pas sur حلقوم ḥulqūm(3), claire extension de حلق ḥalq par suffixation du même élément -ūm que l’on retrouve dans un mot comme خرطوم ḫurṭūm "trompe de l’éléphant", par exemple. Quant à حلقم ḥalqama "couper la gorge à qqn", c’est aussi clairement un dénominal de حلقوم ḥulqūm, et venons-en tout de suite à حلق ḥalq.
Sans surprise, on trouve ce mot dans la notice que Kazimirski consacre à la très polysémique racine حلق √ḥlq (I, p. 481) dont voici un résumé représentatif :
حلق ḥalaqa raser (la tête) ; blesser à la gorge ; remplir la citerne (d’eau) ; entourer, ceindre ; serrer en tordant avec force (une corde) – II. marquer une pièce du troupeau d’une marque ciculaire en forme de boucle ; gonfler le ventre, l’arrondir (eau bue) ; se gonfler de lait, être rebondi (pis d’une femelle) ; planer et tournoyer dans les airs ; être entouré d’un cercle (lune) ; être renfoncé dans son orbite (œil) ; être au plus haut du ciel (étoile) – V. s’assoir en cercle, former un cercle
حلق ḥalq gosier, gorge ; malheur
حلق ḥilq bague, anneau ; nombreux troupeau de bétail
حالق ḥāliq montagne élevée
حالقة ḥāliqa qui excite les inimitiés et la discorde entre les parents, les proches
حالوقة ḥālūqa sévère, dur (homme)
حلاق ḥalāq mort, trépas
حلقة ḥalqa anneau ; boucle ; cercle, réunion de personnes assises en cercle ; troupe nombreuse d’hommes ; corde, vase vidé ; abondance d’eau dans une citerne à peu près remplie jusqu’aux bords
حلوق الأرض ḥulūq al-’arḍ endroits où l’eau coule ou a coulé (vallées, ravins)
حلقيّ ḥalqiyy guttural (lettre)
On aura noté quelques notions communes aux deux racines حجر √ḥǧr et حلق √ḥlq : le cercle, le halo lunaire, l’orbite de l’œil, la dureté morale, la hauteur géographique, ... Elles sont communes aux deux racines mais quel rapport entre ces notions et la gorge ? On voit l’intérêt qu’il pouvait y avoir, pour tenter de répondre à cette question, à aller plus loin dans la confrontation des diverses racines construites sur les étymons {ǧ,r} et {q,l}.
Il nous reste à traiter la question de l’étymon : la racine حلق √ḥlq étant ambigüe, qu’est-ce qui nous permet de la considérer comme construite sur l’étymon {q,l} ?
Pour la séquence QL, nous pouvons nous appuyer principalement sur l’existence de قلقى qalqā "collier, chaîne portée au cou en guise de parure", isolé mais non ambigu, et sur la racine قلد √qld, formellement ambigüe mais sémantiquement concernée par notre sujet à juger par ses dérivés إقليد ’iqlīd "cou" et قلادة qilāda "collier". Citons aussi
قبل qabal, قبلة qabla sorte de coquillage que les femmes se mettent au cou en guise de charme pour se faire aimer ; boule oblongue en ivoire que les femmes suspendent à leur cou ou que l’on suspend au cou des chevaux – قبلة qabala coquillages suspendus en guise d’amulette au cou d’un chameau pour conjurer l’effet du mauvais œil
قذال qaḏāl col (d’une veste)
قفلة qafla derrière de la tête
قليب qulayb coquillages ou autres petits objets en agate, que l’on porte sur soi comme charme propre à fasciner et à concilier l’amour d’une personne
... dont l’apport formel est plus fragile, du moins à ce niveau initial de notre étude.
Pour la séquence LQ, nous disposons de la racine non ambigüe لقلق √lqlq dont trois dérivés ont des sens qui nous autorisent à les considérer comme concernés par notre sujet :
– لقلق laqlaq langue : elle prend racine dans la gorge.
– لقلق laqlaq ou لقلاق laqlāq bavard : peut-être par onomatopée, ou en rapport avec le précédent.
– لقلق laqlaq ou لقلاق laqlāq cigogne : probablement moins à cause de son cri ou du claquement de ses ailes que de son cou remarquablement long, si l’on en juge par la présence dans notre corpus de عسلق ‛aslaq, ‛isliq "qui a le cou long", entre autres sens que nous verrons plus loin.
NB : Pour la même raison, nous aurions probablement pu mentionner plus haut هقل haql, هقلة haqla "jeune autruche" et هيقل hayqal "autruche mâle"..
Citons quelques autres mots issus de racines formellement ambigües mais si sémantiquement concernés par notre sujet que le doute sur leur étymon n’est guère permis :
لقّاعة luqqā‛a prononciation très gutturale, du fond du gosier
فليق falīq veine qui paraît comme gonflée au cou ; partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier
tigré ’abliq collier pour les chevaux (DRS)
... et même معلاق mi‛lāq "langue", dérivé de la racine علق √‛lq non seulement à cause du fait que l’organe ainsi désigné est parfois “bien pendu” mais parce que tout le sémantisme de cette racine, nous le verrons, est en rapport avec notre sujet.
Nous sommes loin d’avoir présenté ici tous les termes qui désignent le cou et la gorge, ou certaines de leurs parties comme la nuque, la pomme d’Adam, et la luette. Nous en avons cité quelques-uns dans notre introduction. Nous en mentionnerons d’autres à la fin de cette étude.
Notes
1. Voir notamment notre étude Les racines quadriconsonantiques à séquence initiale عن ‛n-".
2. Voir l’article de Michel Masson, « Perles, coraux et bilitères », in Semitica et Classica, Vol. VI, Brepols Publishers, pp. 269-278, 2013.
3. Pour nos jeunes lecteurs friands de loukoum, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que ce mot vient de du turc rahat-lokum (par abréviation lokum) et celui-ci de l’arabe rāḥat al-ḥulqūm (littéralement « plaisir du gosier »).
Chapitre 2. La fonction ingestive de la gorge
Puisque la notice GR- du DRS nous y invite par « l’expression des notions connexes d’avaler, engloutir, etc. », commençons par cette fonction et vérifions qu’il en va bien pour l’arabe comme de l’ensemble des racines sémitiques, et aussi qu’il en va de l’étymon {q,l} comme de l’étymon {ǧ,r}.
Une première remarque : nous allons très vite constater que le DRS a de cette fonction ingestive une vision très restrictive. Plus que le simple et rapide passage par la gorge des nourritures absorbées, c’est en fait tout le processus alimentaire qui est pris en charge par les racines de notre corpus, depuis la sensation de faim et l’opération initiale qui, selon les cas, consiste à séparer la viande de l’os, à brouter l’herbe, à ronger les troncs, à happer au vol, à arracher de la branche, etc., jusqu’à l’opération finale que Kazimirski appelle pudiquement “rendre les excréments”. On voit par là que la rubrique 4 du DRS – « La notion de couper > enlever, arracher, casser, etc. » – représente en fait la première phase du processus. La métaphore se chargera ensuite, nous le verrons, d’adapter ce geste initial à bien d’autres choses que la nourriture, et de transférer à la main des bipèdes une action que seule peut accomplir la gueule des quadrupèdes.
Une deuxième remarque : ce n’est pas seulement de la nourriture solide qui passe par la gorge, c’est peut-être même plus souvent du liquide, une boisson. On voit par là que la rubrique 5 du DRS – « La notion de couler » – n’est en fait que l’opération effectuée par la boisson absorbée par la bouche, passant ensuite par la gorge et coulant enfin dans le tube digestif jusqu’à l’estomac. La métaphore se chargera, nous le verrons aussi, d’adapter cette action à d’autres liquides et canaux d’écoulement.
2.1. L’ingestion des solides
2.1.1. avoir faim, chercher de la nourriture, procurer de la nourriture
Notre corpus n’est pas très riche en vocabulaire de la faim. Nous n’avons guère trouvé que
جخر ǧaḫir grand mangeur et qui a faim à tout instant
علق ‛√lq – عولق ‛awlaq faim
هقل haqil affamé
هلّقب hillaqb violent, extrême (faim) (DRS)
C’est surtout avec la recherche de la nourriture pour soi-même ...
جرح ǧaraḥa chercher à se procurer de la nourriture (animaux)
قلج √qlǧ – V. courir les pays pour chercher de quoi vivre en temps de disette
... ou pour d’autres, que les mots commencent à apparaître en plus grand nombre :
جرّ ǧarra laisser paître le chameau en continuant la route
جرش √ǧrš – VIII. procurer de la nourriture à qqn
جشر ğašara mener paître les bestiaux, sans les ramener le soir
شمرج šamraǧa nourir avec soin un enfant
مرج maraǧa lâcher au paturage, laisser paître sa monture, etc.
بقل √bql – IV. ramasser du fourrage pour les bestiaux
طلق ṭalaqa être renvoyé, lâché, mis en liberté (se dit d’une chamelle qu’on laisse paître librement)
قصل qaṣala donner (aux chevaux) du fourrage vert à mesure qu’on le coupe
2.1.2. Les nourritures et leurs récipients
Les nourritures représentées dans notre corpus sont essentiellement l’herbe des prés, le foin et les plantes à tiges comme le roseau, mais la pâture des carnivores n’est pas oubliée. On trouvera aussi quelques termes désignant plus généralement les vivres et la nourriture, quels qu’ils soient :
جرزة ǧurza botte de foin
جرف ǧarf herbe sèche ; pâturage abondant et riche
جزر ǧazir nourriture, pâture –جزر ǧazar chair, pâture des bêtes féroces
رجع √rǧ‛ – راجعة rāǧi‛a vivres
رمج √rmğ – رماج ramāğ parties comprises entre les nœuds de la tige d’un roseau
شجرة šaǧara tige, tronc ; plante à tige ; arbuste ; arbre
مرج marǧ pré, prairie
ثقل ṯaqula – III. se nourrir de mets lourds
دقل daqal chargé de fruits (palmier) ; dattes de qualité inférieure
عقل ‛aqala manger de l’herbe
علق ‛alaq, علاقة ‛alāqa nourriture des bestiaux – علقة ‛ulqa, علاق ‛alāq repas léger, déjeuner
قلج qalğ roseau
قلدة qilda dattes
NB : On remarquera l’évolution sémantique de شجرة šaǧara, dont le sens de "tige, plante à tige" est probablement premier. Nous reviendrons dans notre sixième partie sur la forme cylindrique de la tige et du tronc... qui n'est qu'une grosse tige.
Pour le transport de nourritures, de provisions, de produits de la terre, divers noms désignent des sacs ou paniers dont la fonction est généralement précisée, de façon explicite ou implicite :
جرب √ǧrb – جراب ǧirāb sac de berger, sac de voyage
جرّ ǧarr corbeille, panier
جشر √ğšr – جشير ğašīr sac à blé ; sac de berger
حجر √ḥğr – حنجور ḥanğūr petit panier
رجن √rǧn – مرجونة marǧūna panier
شرج √šrğ – شريجة šarīğa sac en feuilles de palmier où l'on met des fruits
عجر √‛ǧr – معجر mi‛ğar sorte de sac de fibres de palmier
جلق √ğlq – جوالق ğuwāliq grand sac à blé
شلق √šlq – شلّاق šallāq sac à provisions
لعق √l‛q – ملعقة mil‛aqa cuiller ; cuillerée
قلد √qld – مقلد miqlad sac à fourrage
قلف √qlf – قليف qalīf, مقلوفة maqlūfa panier dans lequel on transporte des dattes
قمعل qum‛ul, قمعول qum‛ūl marmite à gros ventre et étoite vers l’orifice
Naturellement, du contenant au contenu précisé, on passe par extension à toutes sortes d’autres contenants dont le contenu est sans rapport avec l’alimentation ou n’est pas précisé :
جرب √ǧrb – جراب ǧirāb sac en cuir ; scrotum
جرجة ǧurǧa bissac
جرم ǧirm sac
جفر √ğfr – جفيرة ğafīra portefeuille, sac en cuir
جور √ğwr – IV. mettre, serrer les outils, des objets dans un sac ou un étui
خرج ḫurğ sacoche (composée de deux sacs pendant de chaque côté d'une bête de somme)
درجة durǧa boîte à bijoux
علق ‛alq, ‛ilq sac, petit sac
قلد √qld – مقلد miqlad bourse
2.1.3. La saisie de la nourriture
C’est par cette opération que tout commence : les incisives mordent, coupent ou rongent, les canines déchirent, la langue – ou le bec – saisit, tire et arrache. Si l’objet arraché est une plante, c’est généralement avec sa racine, à laquelle la métaphore donne aussitôt son sens d’origine :
جدر ǧadr racine ; racine, origine ; mathém. racine carrée ou cube
جذر ǧaḏara couper, retrancher en coupant ; extirper, arracher – جذر ǧaḏr et ǧiḏr racine, naissance (d’un membre du corps) ; mathém. racine
جرثم ǧarṯama – II. enlever, prendre la majeure partie de – جرثوم ǧurṯūm racine (en parlant de toute chose)
جرس ǧars racine
جرم ǧarama dépouiller et alléger le palmier en enlevant les grappes de dattes ; couper, retrancher ; prendre, enlever
جزر ǧazar racine qu’on mange – جزار ǧuzār qui arrache les herbes avec la racine
جمعر ǧam‛ara mordre, vouloir mordre
خرج √ḫrǧ – II et IV. consommer une partie d’un pré – مخرج maḫraǧ origine
رجه raǧaha saisir une chose avec les dents
شجر √šǧr – III. ronger les arbres
نجر naǧr racine, origine, extraction
دوقل dawqala happer et avaler qqch
سلق salaqa oter, enlever la viande de dessus l’os
علق ‛alaqa enlever, arracher avec les dents les feuilles de la cime des plantes
قلخ qalaḫa arracher, déraciner
قلف qalafa dépouiller un arbre de son écorce
لعقة la‛qa ce qui peut être enlevé par un coup de langue
لقع laqa‛a enlever rapidement avec le bout des lèvres ou du bec
لقف laqifa enlever en un clin d’œil un morceau tombé ou jeté par qqn – V. enlever, saisir rapidement
Certains des verbes ci-dessus, on le voit, en viennent tout naturellement à avoir un emploi plus général et imprécisé, voire figuré, de la saisie.
En voici quelques autres qui parfois s’appliquent explicitement ou implicitement à des objets précisés ; c’est par exemple le cas du rasage, qui va nous amener à retrouver la racine حلق √ḥlq. On voit par là, une fois de plus(1), que, comme le dit Kazimirski mais comme le dit surtout la langue arabe, “les plantes et les arbres sont le poil du sol” :
جرد √ǧrd – II. tirer, traire
جرذ √ǧrḏ – IV. faire sortir, extraire, tirer
جرّ ǧarra extraire, faire sortir
جرز ǧaraza couper, retrancher
جرف ǧarafa enlever, emporter tout
جمر √ǧmr – II. couper un palmier
جمهر ǧamhara enlever la meilleure partie d’une chose
خرج √ḫrǧ – IV. extraire, faire sortir
رجم raǧama couper, arracher, séparer du tout
مجر maǧr intelligence (= saisie intellectuelle. Cf. عقل ‛aqala ci-dessous)
بلق balaqa enlever, emporter les pierres (torrent)
جلق ğalaqa raser (la tête)
حلق ḥalaqa raser
دلق √dlq – X. extraire, faire sortir
دهقل dahqala raser la peau
دهلق dahlaqa raser une peau de bête
ذلق √ḏlq – IV. faire sortir un lézard de son trou en l’inondant d’eau
زلق zalaqa raser (la tête)
عقل ‛aqala comprendre, saisir (par l’intelligence)
فلق falaqa arracher (la laine) sur la peau de la bête
قبل qabala prendre avec la main – IV. devenir intelligent après avoir été bouché et stupide
قصل √qṣl – XI. ’iqṣa’alla prendre, saisir qqch, empoigner
قطل qaṭala couper (un arbre à la racine)
قعل √q‛l – VIII. enlever, ôter un objet de sa place
قلج qalaǧa arracher
قلع qala‛a arracher, ôter qqch de sa place – VIII et X. enlever, ravir
قلف qalafa arracher un ongle avec la racine
قلم qalama couper, rogner
قلمع qalma‛a raser
لقث laqiṯa enlever tout en un clin d’œil
لقي √lqy – لقى laqā saisir qqn, se saisir de la personne de qqn – IV. ôter qqch de sa place
ملق √mlq – VIII. extraire qqch
NB : Dans le chapitre 3 de Le son et le sens de Bohas et Saguer – intitulé La matrice {[dorsal],[+nasal]} “Tirer” – on retrouvera forcément celles de nos racines, présentes ci-dessus et ailleurs dans cette étude, dans lesquelles la troisième composante est une nasale et qui ont le sens de tirer, extraire ; c’est, par exemple, le cas de ملق √mlq. Ces racines pourront s’analyser comme résultant du croisement de deux étymons complémentaires.
Mais revenons au pâturage et surtout à l’état où il se trouve après le passage d’un troupeau affamé. La liste ci-dessous se passe de longs commentaires : le sol est nu, dépouillé, dépourvu de toute végétation ; place à la pierre. Dans notre étude Éclats de roche(2), nous avons longuement étudié le rapport entre la pierre et l’action de couper. La présence de la pierre dans ce contexte n’est donc pas pour nous étonner : nous confirmons ici par le lexique ce que savent bien les géologues et historiens du Sahara : ce qui a coupé, c’est les incisives des herbivores ; la pierre, le terrain dur et stérile, le sable, le désert, c’est ce qui reste quand la végétation a été systématiquement broutée ou rongée :
جرب √ǧrb – جرباء ǧarbā’ (terre) frappée de sécheresse et de stérilité
جرج ğarağ sol dur et rocailleux
جردة ǧurda sol uni et nu, où rien ne croît
جرّ √ǧrr – جرّارة ǧarrāra terrain déprimé, encaissé, couvert de cailloux
جرز ǧarz champ nu, dont l'herbe à été dévorée ; sol nu, dépourvu de toute végétation
جرع √ǧr‛ – جرعة ǧaru‛a, ǧara‛a terrain sablonneux, monticule de sable
جرل ǧaril pierreux et dur (terrain) – جرول ǧarwal, ǧurawil, جرولة ǧurūla terrain pierreux ; pierres, rochers
جرن ǧaran sol dur et inégal
جمرة ǧumra cailloux, petits cailloux dont le lit des torrents est jonché – جمار ǧimār pierre sépulchrale
جمهور ǧumhūr monticule de sable
حجر ḥaǧar pierre – حجر ḥaǧr colline sablonneuse – حجرة ḥuǧra plage
حشرج ḥašraǧ cailloux
خرج √ḫrǧ – مخرّج muxarraǧ en partie nu, en partie couvert d'herbes (champ, pré)
رتج √rtǧ – رتاجة ritāǧa roc, rocher
رجح √rğḥ – أراجيح ’arāğīḥ déserts
رجل √rǧl – أرجل ’arǧal dur et raboteux, semé de pierres (sol)
رجم √rǧm – رجام riǧām grande pierre
هبرج habraǧa marcher sur un terrain inégal
بلق √blq – بلوقة balūqa désert, plaine vaste et stérile
بلقع balqa‛a être inculte et inhabité
خلق ḫalaqa – خوالق ḫawāliq montagnes, rochers ras, à surface unie
سلقع salqa‛ terrain dur et raboteux
صلق √ṣlq – مصلاق miṣlāq rocher, grosse pierre
صلقع √ṣlq‛ – صلنقع ṣalanqa‛ vide, désert (pays)
عقل √‛ql – عاقول ‛āqūl monticule de sable
قلع qala‛ pierre
قلف qilf sol raboteux
نقل naqil rocailleux (terrain)
وقل waqal pierres, rochers
La métaphore permet de généraliser au-delà vers toutes sortes de pierres, de dépouillements ou de nudités :
جدر √ǧdr – جدراء ǧadrā’ dont la peau est rongée, mangée et sans poil (brebis)
جرد √ǧrd – V. être nu, mis à nu, dépouillé de tout
جرم ǧarama enlever la laine des moutons
جشر ğašira être inégal et rude au toucher
حدرج √ḥdrğ – محدرج muḥadrağ sans poil
ضرج √ḍrǧ – مضرج miḍraǧ lambeau d’étoffe ou de vêtement usé
عجرد √‛ǧrd – II. être tout nu
فرج faraǧ nudité des parties honteuses
خلق √ḫlq – IV. être usé, râpé
دلق √dlq – دلوق dalūq qui a les dents cassées de vieillesse
دلقم dilqim aux dents usées (chamelle) (DRS)
En d’autres circonstances le rasage, qui est une façon d’égaliser une surface, est considéré comme une activité qui a des conséquences positives s’exprimant par des racines signifiant nettoyer, polir, fourbir, lisser, etc.
جرد √ǧrd – V. être lisse, uni
جرش ǧaraša nettoyer la peau, en enlever les peluches ; lisser, frotter pour rendre lisse
جرن ǧarana être fourbi, poli (cuirasse)
حدرج √ḥdrğ – محدرج muḥadrağ ras, lisse
فرجن farǧana étriller, nettoyer (un cheval) avec une étrille
نجر naǧara raboter le bois
خلق √ḫlq – II. polir
زهلق zihliq lisse, poli
صقل ṣaqala polir, fourbir, rendre lisse et luisant
صلق √ṣlq – صليق ṣalīq uni et lisse
قلج √qlǧ – II. nettoyer ses dents
ملق malaqa laver, nettoyer – ملق malaq sol uni et doux – ملقة malaqa pierre plate et de surface unie
... ce qui permettra à un objet d’être plus propre, débarassé de ses impuretés, d’apparaître net, pur, blanc :
جرد √ǧrd – أجرد ’aǧrad pur, sans mélange
جرم √ǧrm – IV. être pur, franc (couleur, teinte) ; être pur, net (voix)
جهر √ǧhr – جهير ǧahīr pur, franc, non mêlé d’eau (lait)
مرج √mrǧ – مارج māriǧ pur, sans fumée (feu)
قلب qalb pur, sans mélange ; la partie la plus pure, la plus essentielle ; cœur ; moelle du palmier
ملق malaqa blanchir
Pour rendre les surfaces encore plus luisantes et plus lisses, on peut ensuite les graisser, enduire, oindre,...
غمجر ġamğara enduire d'une substance glutineuse (un arc cassé)
زلق √zlq – II. oindre le corps
سلق salaqa enduire une outre à lait pour l’assouplir
قلف √qlf – قليف qalīf enduit de limon à l’intérieur (vase en terre)
... ce qui permettra à deux objets de s’adapter l’un à l’autre, d’entrer plus facilement l’un dans l’autre, de se convenir, d’où les généralisations rendre propre à, apte à et mériter, être digne de :
جدر ǧadura être digne de qqch, apte ou propre à qqch
جرم ǧarama mériter qqch, être digne de qqch
خلق √ḫlq – VIII. convenir et s’adapter à qqch – خليق ḫalīq apte, propre, qui convient à, digne de
ليق √lyq – لاق lāqa être convenable, convenir
Les dérivations sémantiques engendrées par la saisie de la nourriture nous ont emmené bien loin. Il est temps de revenir à l’alimentation proprement dite. Nous poursuivons par sa deuxième phase.
Notes
1. Nous l’avons en effet déjà noté dans notre étude Sorbet et moucharabieh à propos de la racine شعر √š‛r, laquelle, rappelons-le, a également le sens de saisir, comprendre.
2. Jean-Claude Rolland (2017), « Éclats de roche : une étude d’étymologie sur les noms de la pierre en latin, grec et arabe », dans Journal of Arabic and Islamic Studies, « Dossier spécial : Approaches to the Etymology of Arabic » (En ligne).
2.1.4. La phase préparatoire : goûter, mâcher, ruminer
Les incisives et les canines ayant joué leur rôle, c’est au tour des molaires d’entrer en scène, non sans d’abord permettre au palais de goûter au passage :
لمق √lmq – V. goûter, déguster
لوق √lwq – لواق luwāq morceau (qu’on goûte)
La mastication après saisie n’est pas représentée dans notre corpus. On trouvera néanmoins deux racines pour la rumination qui est bien une mastication même si elle n’intervient qu’après régurgitation de l’aliment :
جرّ √ǧrr – IV. ruminer – جرّة ǧirra, ǧarra aliment en rumination
رجيع raǧī‛ aliment ramené à la bouche pour être ruminé
Cette opération donne évidemment lieu à des emplois métaphoriques :
جرش ǧaraša casser, piler gros – جاروش ǧārūš concasseur, meule
جرع √ǧr‛ – VIII. briser un morceau de bois
جرن ǧarana moudre le grain – جرن ǧurn mortier
نقل √nql – II. briser
Mais elle a surtout comme effet de mélanger dans la bouche les divers composants de l’aliment avant leur ingestion définitive. D’où une importante dérivation du mélange en général et de la confusion qui s’ensuit :
ثجر ṯaǧara mêler en remuant au fond du vase le marc des dattes dont on fait du vin
رجس √rǧs – مرجوسة marǧūsa confusion, imbroglio
رجن √rǧn – VIII. être embrouillé, compliqué
شرج šaraǧa mêler, mélanger
شمرج √šmrǧ – شمراج šimrāǧ mêlé, mélangé
مرج maraǧa mêler l’un avec l’autre – مرج marǧ désordre, confusion, désarroi
هرج haraǧa tomber dans l’anarchie, dans le désordre marqué par des pillages et des meurtres (se dit d’un peuple) – الهرج والمرج al-harǧ wa-l-marǧ désordre, confusion, désarroi
همرج hamraǧa être mêlé, confus, en désordre
ذلق √ḏlq – II. مذلّق muḏallaq lait délayé de beaucoup d’eau
قتل qatala délayer le vin en y mêlant de l’eau
لقث laqiṯa mêler, mélanger, brouiller
2.1.5. L’ingestion proprement dite : manger, avaler
Pour l’ingestion normale ou dans son sens général, notre corpus n’est pas très riche. On ne trouvera guère que
جرجب ǧarǧaba manger
جرجم ğarğama manger
جرس ǧarasa manger
عجر √‛ǧr – عجّار ‛aǧǧār qui avale des boulettes
قلزم qalzama avaler
هلقم halqama avaler
De même il n’y a qu’un petit nombre de mots pour désigner plus ou moins vaguement la destination du produit ingéré en vue de sa digestion :
جرّيّة ǧirriyya gésier (chez certains oiseaux) ; estomac (d’oiseau)
جرجب ǧurǧub, جرجبان ǧurǧubān ventre
جفرة ǧufra cavité du ventre, ventre
صقل ṣuql au duel صقلانِ ṣuqlāni les deux côtés du ventre, à droite et à gauche du nombril
لقن √lqn – لواقن lawāqin (plur.) bas ventre
Les êtres vivants s’alimentent pour se maintenir en vie, pour rester robuste ou le devenir, pour grandir si l’on est un petit ou un enfant. On ne s’étonnera donc pas de trouver aussi les mots suivants dans notre corpus :
جحرب ǧaḥrab, ǧuḥrub petit et gros, trapu ; gros et robuste (cheval)
جحرش ǧaḥraš gros et robuste (cheval)
جفر √ǧfr – جيفر ǧayfar lion grand, énorme
عجرم √‛ǧrm – عجارم ‛uǧārim dur, fort, robuste
عرجف √‛rğf – عرجوف ‛urğūf chamelle énorme
هرجب √hrǧb – هرجاب hirǧāb grand de taille (homme)
هرجل √hrǧl – هراجيل harāǧīl grands, longs (hommes) ; gros, énormes (chameaux)
صقلب √ṣqlb – صقلاب ṣiqlāb fort, robuste (chameau)
Limité pour l’ingestion normale, notre corpus devient nettement plus important pour l’ingestion rapide ou excessive, la dévoration, la gloutonnerie :
برج bariǧa faire bonne chère, manger et boire beaucoup
جخر ǧaḫir grand mangeur et qui a faim à tout instant
جرجب ǧarǧaba s’empiffrer (DRS)
جرجم √ğrğm – II. manger ou boire beaucoup, dévorer – جرجمان ğurğumān gourmand, glouton
جرد ǧarada dévorer (en parlant des sauterelles)
جردب ǧardaba manger avec avidité, en serrant le morceau
جردم ǧardama dévorer tout ce qui se trouvait dans l’écuelle
جرز ǧaraza manger, avaler vite – جروز ǧarūz vorace, glouton
جرس √ǧrs – جاروس ǧārūs vorace
جرف √ǧrf – جراف ǧurāf, جاروف ǧārūf gourmand (de mets et de femmes)
جرن √ǧrn – مجرن miǧran gourmand, glouton
جعطريّ ǧa‛ṭariyy gourmand, vorace(1)
خجر √ḫǧr – خجّير ḫiǧǧīr gourmand et paresseux
شجر √šǧr – III. dévorer toutes les herbes
مجر √mǧr – مجرن miǧran gourmand, glouton
بقل √bql – V. se nourrir de plantes, de légumes, les dévorer
حقل ḥaqila dévorer de la terre avec l’herbe
صقلب √ṣqlb – صقلاب ṣiqlāb fort, robuste et qui mange beaucoup (chameau)
قلفح qalfaḥa avaler tout
لعق la‛iq avide
لقف laqifa avaler qqch avec précipitation
لقم laqima avaler promptement – لقمة luqma bouchée, morceau qu’on avale en une seule fois – تلقام tilqām gourmand, vorace
هلقم hilqam, hulaqim, هلقام hilqām gourmand, glouton ; vorace
De ce point de vue, on comprend mieux qu’un certain nombre d’êtres vivants ou imaginaires connus pour leur voracité – les ogres, les sauterelles, les poux et les bêtes carnivores – soient désignés par des termes dans lesquels nos étymons {ǧ,r} et {q,l} se repèrent :
جرح √ǧrḥ – جارحة ǧāriḥa animal carnassier, bête ou oiseau de proie
جرد √ǧrd – جراد ǧarād sauterelles (= les dévoreuses)
جردم ǧardam espèce de sauterelle noire et à tête verte
جرذ ǧuraḏ espèce de gros rat des champs
جرض √ǧrḍ – جراض ǧirāḍ lion
جرموز ǧurmūz louveteau mâle
جرهم √ǧrhm – جراهم ǧurāhim lion
جرو ǧarw petit de chien, de lion, ou de toute autre bête carnassière – مجرٍ muǧrin, مجرية muǧriya hyène
جعر √ǧ‛r – جعار ǧa‛ār, جيعر ǧay‛ar hyène
حضجر √ḥḍǧr – حضاجر ḥaḍāǧir hyène
زمجر zamǧar lion
سجر √sǧr – أسجر ’asǧar lion
عرج √‛rǧ – عرجاء ‛arǧā’ hyène – عراج ‛urāǧ hyènes
عسجر √‛sǧr – عيسجور ‛aysaǧūr ogre, démon féroce
هجرس hiǧris renard ; petit de renard, renardeau
إلق ’ilq loup
دلق dalaq fouine
سلقة silqa louve – سلقان silqān loups
سلقم salqam lion – سلقامة silqāma louve
صلقم √ṣlqm – صلقام ṣilqām lion – صلاقيم ṣalāqīm dents canines chez les quadrupèdes
عسلق ‛aslaq, ‛isliq tout animal carnassier ; lion ; loup ; renard
عولق ‛awlaq ogre ; loup ; chienne en chaleur
قصل √qṣl – قصّال qaṣṣāl lion
قلب √qlb – قلاب qilāb, قلوب qalūb, قلّوب qallūb, qillūb, قلّيب qillīb loup
قمل qaml pou
هقلّس haqallas loup, renard
هلقم √hlqm – هلقام hilqām lion
NB : Sous l’entrée سلق slq du dictionnaire de Kazimirski, on trouve le mot سلوقيّ salūqiyy "lévrier" dans lequel Kazimirski voit l’adjectif relatif d’un toponyme Salouk ou Salouka, dont il ne saurait dire si c’est celui d’une ville du Yémen ou de l’Arménie, et d’où les lévriers seraient originaires. Au vu de la place tenue par la séquence SLQ- dans la liste ci-dessus, nous sommes plutôt tenté d’y voir un simple dérivé de la racine سلق √slq, d’autant plus que le verbe سلق salaqa a, entre autres sens, celui de "courir" et que l’adjectif سيلق saylaq signifie “rapide à la course” en parlant d’une chamelle (voir chapitre 3). Ajoutons enfin que ce mot est le probable étymon aussi bien de saluki "lévrier persan" que de sloughi "lévrier arabe", qui désignent deux races bien différentes.
L’ingestion excessive a elle aussi des conséquences bien connues, mais qui sont négatives ; on devient gros et gras, pansu, on prend de l’embonpoint, un gros ventre :
بجر baǧira avoir un gros ventre
ثجر ṯaǧr gros et large
جأّر √ǧ’r – جأّار ǧa’’ār et جئر ǧa’ir gras, corpulent
جرجور ǧarǧūr gros, épais
جرشب ǧaršaba guérir et reprendre de l’embonpoint
جرشع ǧuršu‛ gros, grand, au ventre enflé
جرشم ǧaršama guérir et reprendre de l’embonpoint
جرض √ǧrḍ – جروض ǧarūḍ gros, pansu, ventru
جرم √ǧrm – IV. être grand, gros, d’un grand volume
جرهم √ǧrhm – جراهم ǧurāhim gros, corpulent
حضجر ḥiḍğir fessu, qui a de grosses fesses ou un gros ventre
رجع √rǧ‛ – IV. reprendre de l’embonpoint
عجر ‛aǧira être gros, corpulent et ventru
قبنجر qabanǧar qui a un gros ventre
هبرج habraǧ, hibriǧ grand, gros, corpulent (homme)
هرجس √hrǧs – هرجاس hirǧās gros, corpulent
ثقل ṯaqula être grosse (femme)
جفلق ǧaflaq charnu, chargé de chairs
دحقل daḥqala être gonflé (ventre)
زلق zalaq fesses (d’une bête de somme)
زهلق √zhlq – زهلوق zuhlūq gras (hommes ou bêtes)
صلقم ṣalqam gros, épais (chameau)
فلق √flq – تفيلق tafaylaqa être très gros et très gras
قصل √qṣl – قصيلّة qiṣyalla gros, large et en même temps de petite taille, trapu (homme, chameau)
قلع √ql‛ – قيلع qayla‛ femme au corps épais
قلف √qlf – VII. être naturellement gonflé et arrondi (ventre) – قليف qilyaf (chamelle) au corps épais
قلهب qalhab homme âgé et au corps épais
قمل qamila prendre de l’embonpoint
لقح √lqḥ – VIII. enfler, se gonfler
هلقم √hlqm – هلقام hilqām grand et gros (homme)
2.1.6. La phase finale : le rejet des déchets, la défécation
Fin de la digestion, le moment est venu de "rendre les excréments". Sans plus de commentaire. Nous avons inclu le vomissement, autre forme de rejet mais par la bouche et dû à l’indigestion :
جعر ǧa‛ara rendre les excréments (bêtes féroces, oiseaux)
خرج √ḫrǧ – خراجات ḫarāǧāt excréments
دحرج √dḥrğ – دحروجة daḥrūğa boule de fiente que le scarabée noir roule devant lui
رجع √rǧ‛ – IV. rendre les excréments (homme) – رجع raǧ‛ fiente, excrément
رجل riǧl excrément, ordure
ردج radaǧ excrément que rendent les fœtus d’animaux aussitôt après la naissance et avant d’avoir mangé
رمج ramağa rendre les excréments (oiseau)
زجر zaǧara vomir
ذلق ḏalaqa rendre les excréments (oiseau)
عملق ‛amlaqa rendre (avec facilité) les excréments et l’urine
قلس qalasa cracher ou vomir
Les excréments sont considérés comme sales et ils sentent mauvais, d’où la généralisation aux ordures en général et à toutes les mauvaises odeurs :
ثعجر √ṯ‛ǧr – مثعنجر muṯ‛anǧir chargé d’ordures (cil)
جخر √ǧḫr – جخراء ǧaḫrā’ petit et rempli d’ordures (œil) ; femme dont les parties sexuelles sont fétides
جشر ğašir sale, malpropre (outre)
خجر ḫaǧar haleine fétide qui accompagne quelquefois la toux
رجز riǧz, ruǧz saleté, malpropreté, ordure ; fumier
رجس riǧs saleté, malpropreté
ضرج ḍarağa salir, imprégner de qqch de sale
عرجن ‛arğana salir de sang
صلق √ṣlq – مصلوقة maṣlūqa salie, rendu sale par les bestiaux qui y ont marché et l’ont salie de leur fiente (eau stagnante)
قلج qilğ vêtement sale, malpropre
قهل qahila être sale, malpropre (homme)
Nous en avons enfin terminé avec l’ingestion des solides. Place à celle des liquides.
Notes
1. Nous avons déjà rencontré جعطريّ ǧa‛ṭariyy dans notre étude Pluies et parfums. C'est un mot intéressant car il peut s'analyser comme résultant du croisement de trois étymons : l’étymon {ṭ,r} de cette étude-là, l’étymon {ǧ,r} de celle-ci, et probablement l’éymon {ǧ,‛} de la racine non ambigüe جوع √ǧw‛ "faim".
2.2. L’ingestion des liquides
2.2.1. La soif
On peut boire sans soif. C’est probablement la raison pour laquelle, comme la faim vue plus haut, la soif n’est guère présente dans les racines de notre corpus. Nous n’avons en effet relevé que
مجر maǧara avoir soif
نجر naǧara être pris d'un violent accès de soif
2.2.2. Boissons et récipients
Nos étymons sont repérables
– dans quelques noms de boissons :
جرل √ğrl – جريال ğiryāl vin
جشر √ğšr – جاشريّة ğāširiyya coup qu'on boit avant l'aurore (du vin ou du lait)
علق ‛ilq vin vieux
قبلة qubla philtre, breuvage à l’aide duquel une femme cherche à se concilier l’amour d’un homme
قلس qalasa boire beaucoup de vin fait de dattes
قيل qayl, قيول qayūl toute boisson (lait ou vin) que l’on prend à midi
– dans plusieurs noms de récipients :
جردل ǧardal seau métallique (Reig)
جرّة ǧarra jarre
جرمز √ǧrmz – جرموز ǧurmūz pièce d’eau, abreuvoir aux bords un peu élevés
جرن ǧurn grande auge, bassin en pierre ou en bois ; urne, vasque
جرهدة ǧarhada pot à eau
جور √ğwr – جاير ǧāyir grand seau
حجر √ḥǧr – حنجور ḥunǧūr flacon pour les aromates avec lesquels on lave le corps des morts
حرجة ḥurğa petit seau
حشرج ḥašraǧ flacon mince
رجل √rǧl – مرجل mirǧal grand chaudron – مرجّل muraǧǧal petite outre
مجر √mǧr – ماجور māǧūr vase en terre
هجر √hǧr – هجير haǧīr grande coupe à boire ; grand abreuvoir
حلقة ḥalqa vase vidé
حوقلة ḥawqala bouteille à goulot long et étroit
علق √‛lq – معلق mi‛laq petit vase dans lequel on trait du lait
قلد qild coupe à boire
قلس √qls – قلوسات qulūsāt coupes à boire
قلّة qulla cruche en terre (racine non ambigüe)
قمعل qum‛ul, قمعول qum‛ūl coupe à boire en bois à gros ventre
لقوة laqwa, liqwa grande cruche, grand seau, pot à eau
– et aussi dans quelques noms désignant soit un reste de liquide au fond d’un vase, soit de l’eau stagnante dans un creux ou au fond d’un trou :
ثجر √ṯǧr – ثجير ṯaǧīr sédiment, marc, restes de plantes, de dattes, etc. dont on a exprimé le suc
رجرجة riǧriǧa reste d’eau boueuse au fond d’une citerne
زرج √zrǧ – زرجون zarǧūn eau de pluie qui demeure stagnante dans un creux
بلثق √blṯq – بلثوق bulṯūq eau stagnante qui s’étend sur un sol plat, mare d’eau
حقلة ḥaqla reste d’eau ou de lait
صلق √ṣlq – صلاقة ṣulāqa eau stagnante et remplie d’ordures de bestiaux
فلق falaq reste de lait au fond d’un vase
قتل √qtl – قتال qatāl reste, reliquat
قلت qalt grand trou dans une montagne rempli d’eau stagnante
قلّة qulla creux dans la montagne où l’eau de pluie demeure stagnante
2.2.3. L’absorption
Depuis la première tétée, l’absorption de liquides prend diverses formes. On les trouvera presque toutes représentées dans notre liste :
جخر ǧaḫira boire ayant faim et le ventre vide
جرجر ǧarǧara avaler, boire en faisant glouglou
جرجم ğarğama boire
جرع ǧara‛a boire par gorgées, absorber – جرعة ǧur‛a gorgée
جرعب ǧar‛aba boire
رجل raǧala téter sa mère à son aise
سجر saǧara verser (de l’eau) dans le gosier, l’y faire descendre
غمجر ġamǧara humer, boire (l’eau) à petits traits et sans discontinuer
مجر maǧira avoir le ventre rempli d'eau (sans avoir étanché sa soif) – IV. introduire du lait dans la bouche de qqn
وجر √wǧr – V. avaler un médicament ; boire qqch à contre-cœur
فلقح falqaḥa avaler, boire ou manger tout ce qui se trouve dans un vase
قبل qabal premier coup que l’on boit
قلز qalaza boire dans un trou, humer l’eau qui est dans un trou
مقل maqala faire boire un petit dans le creux de la main
ملق malaqa téter sa mère
Rappelons ici notre deuxième remarque faite au début de ce chapitre : “Ce n’est pas seulement de la nourriture solide qui passe par la gorge, c’est peut-être même plus souvent du liquide, une boisson. On voit par là que la rubrique 5 du DRS – « La notion de couler » – n’est en fait que l’opération effectuée par la boisson absorbée par la bouche, passant ensuite par la gorge et coulant enfin dans le tube digestif jusqu’à l’estomac. La métaphore se chargera, nous le verrons aussi, d’adapter cette action à d’autres liquides et canaux d’écoulement.”
Dans un article de 1991 que nous avons souvent cité dans d’autres études(1), Michel Masson faisait de l’acte de boire un terme affixe du terme central couler. On aura compris que, pour notre part, nous faisons ici de la boisson un terme connexe de la notion de gorge et de (faire) couler une généralisation de boire.
Place donc à tout ce qui, comme une boisson dans la gorge, coule, arrose, remplit, inonde et abonde.
– cours d’eau, ruisseau, canal, pluie, ...
ثعجر ṯa‛ǧara verser, répandre
جرب √ǧrb – جريب ǧarīb grand cours d’eau qui reçoit des affluents
جرّ √ǧrr – جارور ǧārūr cours d’eau, ruisseau
جرى ǧarā couler ; pénétrer qqpart en coulant – جرية ǧirya cours d’eau, de sang, de larmes, etc. – مجرًى maǧran canal
جعفر ǧa‛far ruisseau
جور √ǧwr – V. couler – جور ǧiwar pluie accompagnée du bruit du tonnerre
رجع raǧ‛ cours d’eau
رجلة riǧla cours d’eau qui descend d’un rocher dans la plaine
شرج √šrǧ – شريجان šarīǧāni deux filets, l’un de lait, l’autre de sang, qui coulent du pis d’une chamelle
فجر faǧara donner une issue à l’eau et la faire couler
حلق √ḥlq – حلوق الأرض ḥulūq al-’arḍ endroits où l’eau coule ou a coulé
دلق dalaqa couler
قلد qalada recueillir un liquide dans un réservoir ; arroser les céréales
قلس qalasa saigner (plaie)
نقل √nql – نقيل naqīl torrent qui vient d’un lieu où il est tombé beaucoup d’eau
– trop couler ; déborder, affluer, inonder ; la mer et ses vagues
ثجر √ṯǧr – VII. déborder et se répandre
ثعجر √ṯ‛ǧr – مثعنجر muṯ‛anǧar haute mer, pleine mer – مثعنجر muṯ‛anǧir qui coule à grands flots
جخر √ǧḫr – V. crever, être rompu de manière à laisser s’écouler l’eau au dehors (abreuvoir, bassin)
جرف ǧurf torrent, courant d’eau qui emporte la terre
رتج √rtǧ – IV. se gonfler de vagues et emporter tout ce qui se trouve sur son passage (inondation) ; tomber continuellement en masse (neige)
رعج √r‛ǧ – VIII. être rempli (se dit du lit d'un torrent)
سجر saǧara remplir (le lit du fleuve) d'eau – ساجر sāǧir lit d'un fleuve, ou lieu que l'eau remplit en y affluant – سجرة suǧra eau qui remplit le lit d'un cours d'eau
غمجر ġamǧara remplir, inonder (se dit d’une pluie abondante qui remplit un jardin)
ذلق √ḏlq – IV. faire sortir un lézard de son trou en l’inondant d’eau
عقل √‛ql – عاقول ‛āqūl pleine mer, les vagues de la mer
قيل √qyl – V. affluer et s’amasser sur un point (eau)
– abondance d’eau(2) , de lait ou de végétation aux conséquences positives :
برجس √brǧs – برجيس birǧīs chamelle qui donne beaucoup de lait
جأر ǧa’r abondant, copieux (pluie)
جرف ǧarf pâturage abondant, riche
جفر √ǧfr – جفار ǧifār chamelles qui donnent du lait en abondance
جور √ǧwr – جوار ǧawār eau qui se trouve en abondance
حضجر ḥaḍğara remplir un vase
رتج √rtǧ – مرتج murtaǧ couvert d’une riche végétation
رهج √rhǧ – IV. laisser tomber une pluie abondante (se dit du ciel)
شجر √šǧr – IV. se couvrir d’arbres, de plantes
حلق ḥalaqa remplir la citerne d’eau – II. se gonfler de lait, être rebondi (pis d’une femelle) – حلقة ḥalqa abondance d’eau dans une citerne à peu près remplie jusqu’aux bords – حلقة ḥalqa vase vidé
فقل √fql – IV. se couvrir d’une végétation luxuriante
قلد qalada recueillir (l’eau, le lait, le vin) dans un vase ou un réservoir
قلمّس qalammas qui abonde en eau (puits)
NB : Dans certaines racines – dont حلق √ḥlq ci-dessus –, on trouve à la fois les notions de remplir et de vider. On ne s’en étonnera pas et on ne cherchera pas une savante explication par l’énantiosémie : ce phénomène s’explique tout simplement par le fait que, pour remplir un récipient, on en vide forcément un autre. C’est un cas similaire à celui du mot français hôte qui a les deux sens de “celui qui reçoit” et de “celui qui est reçu”.
– Généralisation de l’abondance : grande affluence de toutes sortes de choses, richesses, gens et animaux, foule, troupe, troupeau, nuée, ...
gens
ثجرة ṯuǧra troupe d’hommes séparés des autres
جربّة ǧarabba troupe d’hommes
جرجر √ǧrǧr – جرجور ǧurǧūr foule, troupe nombreuse
جرّة ǧirra troupe d’hommes, peuplade, tribu qui émigre ou change d’habitation – جرّار ǧarrār armée nombreuse, qui traîne à sa suite des hommes de service et des bagages
جمر ǧamara se réunir, se rassembler (peuple) – جمار ǧamār tout le peuple – جمرة ǧumra grande tribu d’environ mille cavaliers ; troupe de mille cavaliers
جمعر √ǧm‛r – جمعور ǧum‛ūr foule, multitude
جمهر √ǧmhr – جمهور ǧumhūr multitude, peuple, populace ; troupe nombreuse, nuée ; armée
جهراء ǧahrā’ foule, cohue
حرجل √ḥrǧl – حراجلة ḥarāǧila troupe de cavaliers
حرجم √ḥrǧm – III. إحرنجم ’iḥranǧama se presser en foule et s’entasser les uns sur les autres – محرنجم muḥranǧam multitude
رجرجة riǧriǧa troupe nombreuse d’hommes engagés dans un combat – رجراج raǧrāǧ nombreuse troupe d’hommes armés
رجن √rǧn – رجّانة raǧǧāna troupe d’hommes chargés d’armes et de bagages – رجينة raǧīna troupe, bande
عرجلة ‛arğala nombreuse troupe d’hommes à pied
مجر maǧr armée nombreuse
NB : Il est clair que dans les cinq racines ci-dessus dans lesquelles sont présentes à la fois les consonnes ǧ, r et m, ces racines s’analysent comme résultant du croisement des étymons {ǧ,r} et {ǧ,m} réunir, rassembler.
حلقة ḥalqa troupe nombreuse d’hommes
خلق ḫalq, ḫalaq peuple, gens
علق ‛ulaq (pl. de علقة ‛ulqa) grand nombre, foule
فلق √flq – فيلق faylaq corps d’armée au-dessus de cinq mille hommes
قفل √qfl – IV. rassembler, réunir plusieurs personnes pour traiter une affaire – قفل qufl, قافلة qāfila troupe de voyageurs, caravane
قلد qild troupe d’hommes
قلّة qulla foule d’hommes, grand attroupement – pl. قلل qulal foule qui s’est formée par l’arrivée simultanée d’hommes de toutes parts
قمل qamila être très nombreux, pulluler (population)
قوليّة qawliyya foule, cohue
animaux
جربّة ǧarabba troupeau d’ânes – جرنبة ǧaranba troupeau d’ânes
جرثم √ǧrṯm – جرثومة ǧurṯūma fourmilière
حرجة ḥaraǧa troupeau de chameaux
حرجلة ḥarǧala troupeau (de chevaux) ; nuée de sauterelles
رجل riǧl nuée de sauterelles
عجرمة ‛aǧrama troupeau de chameau de cinquante à deux cents
عرج ‛arǧ, ‛irǧ troupeau de chameau de quatre-vingts à cent cinquante, de cinq cents à mille
حلق ḥilq nombreux troupeau de bétail
قصل qiṣl troupeau de chameau (par ex. de dix à quarante) – قصلة qaṣla troupeau de chameaux ou de brebis ou de chèvres – قصلة qiṣla troupeau de chameaux (entre trente et quarante)
richesses
رعج ra‛iǧa être innombrable (richesse, troupeau)(3)
فجر faǧar opulence, richesses
sans précision
جعثر ǧa‛ṯara réunir, rassembler (les objets dispersés)
شجر šaǧira abonder, être nombreux
شرج šaraǧa ramasser, rassembler
قلف √qlf – أقلف ’aqlaf fécond, abondant
NB : En complément à cette sous-partie dédiée à l’acte de boire, on pourra lire notre étude Sorbet et moucharabieh dans laquelle nous étudions la polysémie de la racine شرب √šrb. On y retrouvera des dérivés de racines ambigües communes aux deux corpus comme برج bariǧa, جرعب ğar‛aba et جريب ğarīb, racines que nous pouvons maintenant analyser comme résultant du croisement des étymons {ǧ,r} et {b,r}.
Notes
1. Michel Masson, 1991, « Quelques parallélismes sémantiques en relation avec la notion de couler », in Semitic Studies in honor of Wolf Leslau, p. 1024-1041, Wiesbaden, Otto Harrassowitz.
2. Le français abondant vient du latin abundans « débordant », lui-même dérivé de unda « eau ».
3. Cf. l’anglais cattle “troupeau” et le nom masculin français capital, du latin médiéval capitale “biens que l’on possède”.
2.3. De l’ingestion à la gestation
Nous ne pouvons clôre ce chapitre sans traiter, même brièvement d’un emploi métaphorique un peu particulier de l’ensemble du processus alimentaire, à savoir l’activité sexuelle et de reproduction. Cet emploi n’est pourtant pas pour nous surprendre car nous le connaissons aussi en français, et il nous vient du latin. Ne parle-t-on pas de l’“appétit” sexuel ? D’un homme “gourmand de femmes” ? De la “grossesse” d’une femme enceinte ? C’est la même racine latine qu’on retrouve à la fois dans gesto, -as “porter un enfant, être enceinte” et dans digero, -is “répartir les aliments dans l’organisme, digérer”, ingero, -is “porter dans, introduire, ingérer”, et egeries “excrément”.
En arabe, nous avons rencontré plus haut جراف ǧurāf, جاروف ǧārūf "gourmand (de mets et de femmes)" qui était un premier indice. Mais il y a plus. Qu’on en juge :
rut du mâle et chaleur de la femelle
حلق √ḥlq – حلاق ḥulāq cet état de la femelle quand elle ne conçoit pas après le coït, sans cesser d’être en chaleur // حلق ḥalq gosier, gorge
زلق zaliq qui a l’écoulement du sperme avant le coït // زلق zalaqa raser (la tête)
صلق √ṣlq – صلقات ṣalaqāt dents qui claquent chez un mâle en rut, quand il gince des dents // صليق ṣalīq uni et lisse
علق √‛lq – عولق ‛awlaq chienne en chaleur // faim
قفل qafala être en rut // قفلة qafla occiput, derrière de la tête
قلج qalğ mâle agité par un violent penchant sexuel // قلج qalaǧa arracher
couvrir une femelle, copuler
رجل raǧala couvrir une femelle // téter sa mère à son aise
فجر faǧara se livrer à la fornication // donner une issue à l’eau et la faire couler
نجر naǧara cohabiter avec une femme // être pris d'un violent accès de soif
نرج √nrǧ – نورج nawraǧa et نيرج nayraǧa cohabiter avec une femme // نيرج nayraǧ rapide (marche, course)
هرج haraǧa et نهرج nahraǧa cohabiter avec une femme // هرج haraǧa tomber dans l’anarchie
دوقل dawqala cohabiter avec une femme // happer et avaler qqch
سلق salaqa, سلقا salqā cohabiter avec une femme // سلق salaqa ôter, enlever la viande de dessus l’os
شقل šaqala avoir commerce charnel avec une femme // peser (des pièces de monnaie)
شلق šalaqa avoir commerce charnel avec une fille // شلّاق šallāq sac à provisions
صلق ṣalaqa renverser une femme pour avoir commerce charnel avec elle // صليق ṣalīq uni et lisse
قلخ قلخ qalaḫ qalaḫ mots répétés dont on se sert pendant que le chameau mâle couvre la femelle // قلخ qalaḫa arracher, déraciner
قلعف qal‛afa – IV. إقلعفّ ’iqla‛affa couvrir la femelle (chameau) // être ridé, ratatiné, contracté
لزق √lzq – لزاق lizāq coït, copulation // لزيق lazīq camarade inséparable
ملق malaqa cohabiter avec une femme ; saillir une jument // téter sa mère
sperme, concevoir, retenir du mâle, être fécondée
علق ‛aliqa concevoir, retenir d’un mâle – علّاقة ‛allāqa sperme // عولق ‛awlaq faim
لقح laqiḥa être fécondée (femelle) – لقاح liqāḥ sperme d’un mâle qui féconde // VIII. enfler, se gonfler
لقوة laqwa, liqwa qui conçoit ou est fécondée promptement (femme, femelle) // grande cruche, grand seau, pot à eau
لقي √lqy – V. concevoir, retenir du mâle // IV. ôter qqch de sa place
être grosse, enceinte, fœtus
جرّ ǧarra porter le fœtus au-delà du temps ordinaire // جرّة ǧirra aliment en rumination
رتج √rtǧ – IV. être pleine, porter un fœtus // مرتج murtaǧ couvert d’une riche végétation
مجر maǧira avoir dans le ventre un fœtus très grand // مجرن miǧran gourmand, glouton
ثقل ṯaqula – V. être grosse, enceinte // III. se nourrir de mets lourds
علق ‛aliqa devenir grosse, enceinte – علق ‛alaq femme enceinte // عولق ‛awlaq faim
avorter
مرج √mrǧ – IV. avorter, jeter dehors son fœtus par avortement // مرج maraǧa lâcher au paturage
زلق √zlq – IV. avorter d’un fœtus quand il est déjà couvert de poils // زلق zalaqa raser (la tête)
mettre bas
رجّ √rǧǧ – IV. être sur le point de mettre bas // رجّ raǧǧa agiter, secouer
فرج √frǧ – فارج fāriǧ qui vient de mettre bas un fœtus, et qui a de la répugnance pour l’étalon // فرج faraǧ nudité des parties honteuses
مجر maǧr fœtus à naître // مجرن miǧran gourmand, glouton
طلق ṭalq accouchement, délivrance (d’une femme enceinte) // طلق ṭalaqa être renvoyé, lâché, mis en liberté (se dit d’une chamelle qu’on laisse paître librement)
NB : Tous les items “sexuels” n’ayant pas de correspondant “alimentaire”, nous avons dû les mettre en parallèle avec des données figurant dans les chapitres suivants.
En complément sur ce sujet, on pourra lire notre étude Cohabiter avec une femme(1) dans laquelle nous nous limitons sémantiquement au seul accouplement mais en recensant toutes les formes du lexique. Au vu de la présente étude, il serait d’ailleurs intéressant de vérifier si le parallélisme digestion // gestation que nous avons relevé ici pour les deux étymons {ǧ,r} et {q,l} s’applique aussi à d’autres étymons, notamment aux plus productifs de la précédente étude. Affaire à suivre, donc.
Notes
1. Jean-Claude ROLLAND, « Cohabiter avec une femme : le vocabulaire de l’acte sexuel en arabe classique d’après les données du dictionnaire de Kazimirski », dans Langues et littératures du monde arabe, LLMA nº 11, 2017.
Chapitre 3. La fonction vocale de la gorge
Après ce long parcours dans l’appareil digestif, passons à la deuxième grande fonction de la gorge, une fonction plus aérienne, sa fonction vocale, à commencer par les « bruits produits par la gorge, la bouche », selon la formulation du DRS, rubrique nº 2 de la séquence GR-. Nous ferons deux remarques à propos de cette formulation :
– Ces « bruits produits par la gorge, la bouche » relèvent bien d’une fonction de ces organes, une fonction qui a autant d’importance que celle que nous venons de voir. On comprend mal que le DRS en ait fait une rubrique à part, alors qu’il a associé la fonction ingestive à la gorge. Le double sémantisme avaler - crier d’une racine non ambigüe comme جرجر √ǧrǧr, par exemple, est poutant révélateur.
– Ces « bruits produits par la gorge, la bouche », cela s’appelle des cris et ces cris donnent lieu à deux extensions : les bruits qui leur ressemblent, comme celui du tonnerre, et le langage articulé auquel les cris ont abouti une fois passée l’étape des onomatopées.
Le chapitre 4 de l’ouvrage de Bohas et Saguer(1) est lui aussi – sous l’intitulé La matrice {[dorsal],[pharyngal/laryngal]} “Produire un bruit guttural” (animal ou humain) – consacré aux sons produits par la gorge. Nous partageons donc avec le corpus de ce chapitre celles de nos racines ambigües dont la troisième radicale est une pharyngale ou une laryngale, comme جرض √ǧrḍ, جره √ǧrh, صلق √ṣlq, etc. Et nous partageons forcément aussi une partie de l’arborescence sémantique révélée par les auteurs.
Quant au chapitre 2 du même ouvrage, il s’intitule La matrice {[+approximant, +latéral],[+continu]} “La langue”. Nous avons déjà vérifié que la langue, organe concerné au premier chef par l’expression orale mais aussi par la fonction ingestive, peut être considéré comme faisant au moins partiellement partie de la gorge. Le seul phonème ayant à la fois les traits [+approximant] et [+latéral] étant le l, nous partageons donc avec le corpus de ce chapitre celles de nos racines ambigües dont la troisième radicale est un q, comme ذلق √ḏlq, لعق √l‛q, لزق √lzq, etc. Et nous partageons forcément aussi une grande partie de l’arborescence sémantique révélée par les auteurs.
Nous nous garderons bien de tirer la moindre conclusion théorique de ces deux rencontres mais nous ne pouvions les passer sous silence. Peut-être sera-t-on un jour en mesure de faire la synthèse de nos travaux respectifs. En attendant, nous nous contenterons d’analyser leurs racines communes comme résultant d’un croisement d’étymons.
3.1. Les cris et les bruits
Le cri est l’expression vocale propre aux animaux :
جأر ǧa’ara mugir, braire
جرجر √ǧrǧr – جراجر ǧurāǧir qui crie, mugit (chameau)
جرض √ǧrḍ – جراض ǧurāḍ plein d’affection, de tendresse (se dit surtout d’une chamelle qui témoigne sa tendresse pour son petit par une voix sourde qui part du gosier)
حشرج ḥašrağa braire (âne)
رجب √rğb – راجبة rāğiba au pl., veines du canal de la voix chez les animaux
رجس raǧasa mugir (chameau)
رجع √rǧ‛a– II. répéter le son, la voix au fond du gosier (animaux)
زمجر zamǧara gronder (se dit du lion) – زمجرة zimǧara voix du lion qui gronde
سجر saǧara pousser un cri perçant et prolongé (se dit d'une chamelle, quand elle témoigne par sa voix sa tendresse pour son petit)
ضجر ḍağira mugir, beugler (se dit d'une chamelle pendant qu'on la trait)
قلج qalaǧa mugir en répétant plusieurs fois la gamme (chameau)
قلخ qalaḫa mugir (chameau)
Les êtres humains sont souvent placés devant la nécessité d’user eux aussi de cette forme d’expression primitive et basique pour communiquer avec un animal, que ce soit pour l’appeler ou pour l’éloigner, lui faire peur, le menacer, ou pour exprimer leur propre peur, leur colère, etc. On retrouvera donc ici certains verbes utilisés plus haut pour les cris d’animaux :
جأر ǧa’ara crier vers qqn
جرب √ǧrb – جربّانة ǧiribbāna femme criarde et dévergondée
جرجر ǧarǧara crier, vociférer avec colère
جرم ǧirm cri
جره √ǧrh – جراهية ǧarāhiya cris, clameurs, vociférations
جشرة ğušra aspérité de la voix, enrouement et toux
جهر ǧahara proférer un cri, faire entendre une voix – جهر ǧahura avoir une voix sonore, retentissante – III. crier à qqn
جور ǧiwar qui a une voix forte, retentissante
حرج √ḥrğ – II. crier la vente à l’encan
حشرج ḥašrağa râler (mourant)
زجر zaǧara faire partir, chasser par des cris ou en jetant des cailloux
زمجر √zmǧr – II. faire entendre une voix – زمجر zimǧar cris – زمجرة zimǧara cris confus
عجرّد ‛aǧarrad criard, braillard
هرج √hrǧ – II. crier haro! à une bête féroce ou fauve pour lui faire peur
سلق salaqa crier, pousser un cri – سالقة sāliqa femme qui pousse des cris et qui se frappe la figure – سلقة silqa femme criarde et dévergondée
صلق ṣalaqa pousser un grand cri
صلقع ṣalqa‛a élever la voix
قلزمة qalzama cri
NB : Pour faire peur aux oiseaux et les éloigner des cultures, l’épouvantail peut remplacer avantageusement les cris ou les cailloux :
جدر √ǧdr – مجدار miǧdār épouvantail qu’on dresse dans les blés pour en éloigner des animaux
Dès la plus haute Antiquité et probablement sur l’ensemble des terres habitées, le bruit du tonnerre fut perçu comme un grondement émanant d’un être surnaturel, poussé par une sorte de gros lion imaginaire ou de gros chameau en colère. La langue a conservé la trace de cette croyance :
جرجر √ǧrǧr – جرجار ǧarǧār bruit du tonnerre
جور ǧiwar pluie accompagnée du bruit du tonnerre
رجز √rǧz – V. produire un fracas, tonner (se dit du tonnerre)
رجس raǧasa tonner (tonnerre)
رجف raǧafa retentir dans le sein du nuage par des coups redoublés (tonnerre)
زمجر zamǧara gronder (se dit du tonnerre) – II. faire entendre un bruit – زمجر zimǧar vacarme, grand bruit – زمجرة zimǧara bruit tumultueux
Par perte du sème “venu de la gorge”, un certain nombre de racines ont été appliquées aux bruits les plus divers :
جرس ǧarasa produire un léger bruit, un murmure – جرس ǧaras cloche, clochette, sonnette
جرم ǧirm bruit, son
خجر √ḫǧr – خاجر ḫāǧir bruit de l’eau au pied d’une montagne
رهجة rahǧa tumulte, émeute
زرج zarǧ bruit produit par un grand troupeau de chevaux
زنجر zanǧara claquer, produire un claquement avec le pouce et le doigt du milieu (Chez les Arabes, c’est un signe de menace.)
عنجر ‛anǧara faire du bruit avec les lèvres en les allongeant et en les faisant claquer
وجر waǧr bruit – أوجر ’awǧar tumulte (d’une armée, etc.) (DRS)
سلقم salqama faire claquer des dents
صلق ṣalaqa produire un grand bruit – VIII. grincer, claquer des dents
صلقع √ṣlq‛ – صلنقع ṣalanqa‛ grand bruit
صلقم ṣalqama claquer, grincer des dents
قلزمة qalzama bruit
قلقل qalqala produire un bruit
لقلق laqlaqa produire un claquement (cigogne) ; agiter qqch de manière qu’on entende le bruit
لقم laqima – تلقّم talaqqum glouglou, bruit de l’eau
نقلة naqala bruit du torrent qui descend une pente
NB : On aura remarqué la présence en arabe comme en français des mêmes phonèmes g et r associés non seulement dans les désignations de la gorge et l’expression de sa fonction ingestive mais également dans les onomatopées du grondement, du grincement et du rugissement. On aura également remarqué le même phénomène quant aux phonèmes q/k et l dans l’onomatopée du claquement. Rien de surprenant à celà, les êtres humains ayant partout des gorges et des oreilles qui ont les mêmes formes et les mêmes fonctions.
3.2. Le langage articulé
Que ce soit pour parler, lire à haute voix, déclarer, raconter, converser, prononcer un discours, réciter ou chanter, donner un ordre, encourager, le langage articulé est l’expression vocale propre aux humains :
جرس ǧarasa parler – IV. chanter, fredonner
جرم ǧarama porter, exciter qqn à faire qqch
جره √ǧrh – II. déclarer, manifester, divulguer, rendre public
جمهر ǧamhara rapporter un message en gros
جهر ǧahara parler à haute voix ; révéler, publier, divulguer – III. parler à qqn ou lire tout haut, à haute voix
درج √drǧ – X. parler, prononcer des paroles – دارج dāriǧ parlé (langue)
رجع raǧa‛a – III. s’entretenir avec qqn
رجل raǧala – VIII. parler sans préparation, improviser un vers, réciter de mémoire(2)
سلق √slq – سلّاق sallāq qui a de la faconde, éloquent
صلق √ṣlq – صلّاق ṣallāq éloquent
عملق ‛amlaqa faire un discours préparé
قبل √qbl – VIII. prononcer un discours, improviser
قلخ qalaḫ ! قلخ qalaḫ ! mots répétés dont on se sert pendant que le chameau mâle couvre la femelle
قلس qalasa chanter avec art
قول qawl parole, mot – قال qāla dire
لزق √lzq – لزّيقى luzzayqā charme, attrait dans le discours qui attire et attache les auditeurs
نقل naqala raconter
NB : À propos de قول √qwl, on remarquera que la plupart des autres très usuelles racines arabes du langage – كلم √klm, لهج √lhğ, لفظ √lfẓ et لغو √lġw – comportent toutes un l et une dorsale. Ce n’est évidemment pas un hasard.
Le langage n’est pas toujours utilisé avec mesure ou à bon escient ; il est parfois excessif, parfois blessant ou indécent, dur, nuisible :
أرج ’araǧa exciter, semer la discorde
برجمة barǧama paroles dures ; dureté dans les paroles
جرح ǧaraḥa blesser par des propos ou des paroles offensantes
جردم ǧardama, جرذم ǧarḏama parler beaucoup et avec volubilité
جرز ǧaraza piquer ; médire de qqn
رجف √rǧf – IV. exciter, fomenter des troubles
رجم raǧama maudire, accabler de malédictions
عجرفة ‛aǧrafa paroles dures
نفرج nafraǧa être loquace, parler trop
هجر √hǧr – IV. se moquer de qqn ; tenir à qqn un langage indécent
حلق √ḥlq – حالقة ḥāliqa qui excite les inimitiés et la discorde entre les parents, les proches
ذلق ḏalaqa être bien affilé (langue)
قصل √qṣl – مقصل miqṣal bien affilée, bien pendue, mordante (langue)
لقص laqiṣ bavard, loquace
لقع √lq‛ – V. déblatérer – لقعة luqa‛a bavard et hâbleur
لقلق laqlaq, لقلاق laqlāq bavard
... et parfois si confus qu’il trahit une éventuelle sottise du locuteur :
جخر ǧaḫir qui a le cerveau dérangé, imbécile
دجر daǧira s’embarrasser, s’embrouiller (en parlant)
ربج rabağa être bête, imbécile
رتج ratiǧa avoir la langue embarrassée et ne pouvoir parler qu’avec peine
رجّ √rǧǧ – رجاج raǧāǧ stupide, ignorant
سرج √srǧ – سرجوج surǧūǧ sot
شمرج šamraǧa brouiller, embrouiller (ses paroles, son discours)
عجرفة ‛aǧrafa sottise, conduite sotte
عجرم √‛ǧrm – معجرم mu‛aǧram embrouillé, embarrassé, entortillé
هبرج habraǧa bredouiller
هجر √hǧr – IV. radoter, dire des absurdités, des sottises, battre la campagne
هجرع haǧra‛ sot, stupide
هرج haraǧa être très verbeux, diffus – هرّاجة harrāǧa réunion bruyante d’hommes où tout le monde parle à la fois – هرج hirǧ sot, imbécile
همرج hamraǧa faire du bavardage, dire beaucoup de paroles sans suite, sans ordre et vides de sens – همرجة hamraǧa, همرجان humruǧān vacarme, bruit que font plusieurs hommes parlant à la fois
ألق √’lq – مئلق mi’laq imbécile, idiot
بهلق bahlaq femme sotte et bavarde
عقلة ‛aqla sorte de lapsus linguae
لعق √l‛q – لعوق la‛waq sot, stupide
لقط √lqṭ – ملقطان malqaṭān sot, stupide
لقع √lq‛ – لقّاعة luqqā‛a sot
3.3. Motivations et conséquences des cris et des mots ; extensions ; généralisations
On a vu plus haut qu’une des principales fonctions du cri était pour les uns l’expression de la peur et pour les autres une manière d’infliger de la crainte. Par la relation de cause à effet et par pertes de sèmes successives, cette double fonction va donner lieu à une cascade d’extensions sémantiques et de généralisations.
3.3.1. Motivations du cri destiné à faire peur : éloigner, repousser, chasser, empêcher d’approcher, etc.
جحر ǧaḥara chasser et faire entrer dans son trou
حجر ḥaǧara empêcher quelqu’un d’approcher, lui interdire l’accès
خرج √ḫrǧ – IV. chasser, expulser
رجع raǧa‛a éloigner une chose d'une autre
رجم raǧama éloigner, repousser qqn à coups de pierres
شجر šaǧara éloigner, repousser
حقل √ḥql – حوقلة ḥawqala action de repousser, d’éloigner
زلق zalaqa éloigner, ôter qqn de sa place
دقل daqala empêcher qqn d'approcher
لقز laqaza repousser
Pour écarter un possible danger, l’opération inverse est aussi efficace, elle consiste à empêcher l’animal ou l’être humain dangereux d’agir, de bouger, en le retenant, en l’attachant s’il le faut :
رجّ raǧǧa contenir qqn et l’empêcher de faire qqch
رجس raǧasa retenir qqn et l’empêcher de se livrer à qqch
شجر šaǧara lier, serrer, attacher
عجر ‛aǧara empêcher qqn de faire qqch
مجر √mǧr – مجار miǧār corde avec laquelle on attache la dernière articulation du pied du chameau plié au haut de la jambe, en sorte que l’animal ne s'appuie plus que sur trois pieds et reste à sa place
هجر √hǧr – هجير haǧīr empêché, retenu
حلق ḥalaqa serrer en tordant avec force (une corde) – حلقة ḥalqa corde
عقل ‛aqala lier, attacher, retenir dans les liens – معقل ma‛qil tout lien qui retient qqn et l’empêche de sortir
3.3.2. Conséquences morale de ce cri et réaction physique : la peur et le frisson
ثبجر √ṯbǧr – إثبجرّ ’iṯbaǧarra trembler, trembloter de frayeur
رجب raǧaba avoir peur, s’effrayer de qqch – رجب raǧiba craindre
رجّ raǧǧa trembler, tressaillir, frémir
رجد √rǧd – II. trembler – IV. être transi de peur, trembler de peur
رجرج raǧraǧa trembler, tressaillir
رجو raǧw crainte, peur
نفرج nifriǧ timide, peureux
وجر waǧira avoir peur de qqch et chercher à s’en garantir
– Formes adoucies de la peur et du frisson : l’inquiétude et l’agitation
جرج ǧariǧ inquiet, agité
رجه raǧh commotion, agitation
دجر daǧira être stupéfait, interdit, troublé
سلق √slq – V. être en proie à l’inquiétude et s’agiter sur son lit
شقلب šaqlaba s’agiter, se remuer
قلب √qlb – VII. être troublé, dans l’agitation
قلص qalaṣa être dans le trouble, dans l’émotion
قلق qalaq trouble, inquiétude, agitation
قلو √qlw – XII. إقلولى ’iqlawlā être inquiet, agité
– Généralisation du tremblement et de l’agitation :
جرج ǧariǧ agité, remué
جهر ǧahara agiter l’outre remplie de lait, pour en faire du beurre(3)
درج √drǧ – دارج dāriǧ tremblant (son de la voix du chanteur)
رجّ raǧǧa agiter, secouer ; être agité, secoué, trembler (se dit aussi de la terre quand elle tremble) – IV. avoir un tressaillement dans les os dans la région de l'utérus (ce qui a lieu chez les juments peu de temps avant la parturition) – VIII. trembler, s'agiter (se dit de la mer, de la terre, des parties grasse du corps qui tremblent quand l'individu marche, etc.)
رجح √rğḥ – III. agiter la balançoire pendant que qqn y est assis – VIII. s'agiter en avant et en arrière (se dit d'une bête de somme chargée et marchant d'un pas régulier et serré, pareil au tangage d'un navire) ; s'agiter sur le corps (se dit des chairs grasses d'une personne ou d'une bête en mouvement)
رجرج raǧraǧa être agité, vaciller
رجس √rǧs – VIII. être ébranlé et trembler (édifice)
رجز raǧaz maladie des chameaux qui fait que leurs jambes tremblent – رجز riǧz, ruǧz fièvre
رجف raǧafa agiter, remuer ; être agité, secoué violemment ; trembler (se dit de la terre quand la secousse est violente) ; frémir d'impatience (se dit, au pl., des guerriers qui s'ébranlent et se préparent au combat) – راجف rāǧif fièvre accompagnée de tremblements
نورج nawraǧa se remuer, se trémousser, se donner beaucoup de mouvements, se démener en marchant ou en parlant – نيرج nayraǧ remuant, qui est dans un mouvement continuel
رعج ra‛aǧa agiter, ne pas laisser tranquille
رهج rahaǧa être en mouvement oscillatoire, s'agiter (se dit de l'effet causé par une lumière très vive)
ذلق ḏaliqa remuer, branler – IV. agiter, secouer, troubler
قلد qild commencement d’un accès de fièvre, du paroxysme ; fièvre quarte
قلقل qalqala remuer, agiter, secouer
لقلق √lqlq – II. s’agiter, être agité – ملقلق mulaqlaq mobile, toujours en mouvement (regard, œil)
3.3.3. Effet obtenu : la fuite
ثبجر ṯabǧara – إثبجرّ ’iṯbaǧarra se sauver, s’enfuir ; reculer d’épouvante ou d’étonnement
جرمز ǧarmaza s’enfuir, se sauver de peur
جعطر ǧa‛ṭara s'enfuir, tourner le dos
جمزر ǧamzara s'éloigner, se sauver
دجر √dǧr – III. s’enfuir
زجر √zǧr – VII. et VIII. fuir
سهجر sahǧara se mettre à courir comme un homme qui a peur
شمجر šamǧara se sauver, s’enfuir et courir comme celui qui a peur
عجر ‛aǧara s'éloigner rapidement, partir tout à coup (comme un cheval qui est effrayé)
– Par perte des sèmes “peur” et “rapidité”. Il ne reste de la fuite que s’en aller, partir, s’éloigner, émigrer
جربز ǧarbaza s'éloigner, s'en aller
جرد √ǧrd – VII. s'en aller, partir, s'éloigner
جرم √ǧrm – II. quitter, laisser là sa tribu pour émigrer
درج daraǧa s’en aller, partir
هجر haǧara rompre avec qqn et s’éloigner
قلص qalaṣa emporter ses bagages et décamper
قلع √ql‛ – IV. larguer les voiles, mettre à la voile, partir
قلقل qalqala s’en aller et courir à travers les pays
قلو √qlw – XII. إقلولى ’iqlawlā s’éloigner d’un lieu, partir
3.3.4. Tous les cris n’ont pas pour objectif de faire peur, certains visent simplement à exciter un animal pour qu’il marche plus vite :
حرجم ḥarǧama faire marcher, chasser devant soi un troupeau de chameaux
ضرج √ḍrǧ – II. stimuler sa monture à la marche
نجر naǧara mener vigoureusement, faire marcher devant soi
– D’où l’effet obtenu : la rapidité du déplacement, qu’il s’agisse de marcher vite, de courir, de sauter, ou encore la promptitude d’action ou d’exécution. C’est un sémantisme commun à de si nombreuses racines que la longue liste ci-dessous n’est probablement pas exhaustive :
جرش ǧaraša courir doucement
جرهد √ǧrhd – إجرهدّ ’iǧrahadda se hâter, aller vite
جرهم √ǧrhm – جرهام ǧirhām prompt à agir et qui agit avec vigueur
جرى ǧarā courir
جمر √ǧmr – IV. marcher avec rapidité ; sauter à pieds joints (cheval qui a des entraves aux pieds)
حرج √ḥrǧ – حرجوج ḥurǧūǧ chamelle grande, forte et rapide à la course
حرجل ḥarǧala courir avec rapidité
درج daraǧa faire sauter les uns par-dessus les autres
دهرج dahraǧa marcher avec rapidité
رجل raǧl saut, bond – رجلة raǧla précipitation avec laquelle on marche, pas précipité(4)
رجم raǧama passer rapidement en courant
روج √rwǧ – راج rāǧa courir avec rapidité tout autour
شجر √šǧr – VII. devancer, gagner de vitesse
ضرج √ḍrǧ – ضريج ḍarīǧ rapide et violent (pas de la course)
عجرد ‛aǧrad leste, agile ; vif, ardent
عجرف √‛ǧrf – عجروف ‛uǧrūf chamelle très rapide à la course
عجرم ‛aǧrama marcher avec rapidité
عسجر √‛sǧr – عيسجور ‛aysaǧūr chameau robuste et rapide à la course
فرجل farǧala marcher rapidement en faisant de grandes enǧambées
نرج √nrǧ – نيرج nayraǧ rapide (marche, course)
هبرج habraǧ pas léger et rapide
هرج haraǧa courir beaucoup, sans cesse
هرجب √hrǧb – هرجاب hirǧāb rapide à la course (chamelle)
هرجل hurǧul qui marche à grandes enjambées
هردج hardaǧa marcher d’un pas rapide
همرجة hamraǧa agilité, célérité dans les mouvements
همرجل hamarǧal rapide à la course(5)
بلق balaqa marcher avec rapidité, presser le pas
حوقلة ḥawqala pas rapide d’un homme qui marche à pas rapprochés et serrés
درقل darqala passer rapidement ; sauter
دلق √dlq – V. se précipiter, s’élancer avec impétuosité (vagues) – VII. s’élancer, sortir soudain et se répandre (troupe de cavaliers, torrent)
ذعلق √ḏ‛lq – ذعلوق ḏu‛lūq jeune homme prompt à s’emporter
ذلق ḏaliq prompt à la répartie
رقل √rql – IV. marcher avec rapidité, se dépêcher
زفقل zafqala marcher avec rapidité
زلق √zlq – زلوق zalūq rapide à la course (chamelle)
زهلق zihliq rapide à la course ; marche rapide
سلق salaqa courir – سيلق saylaq rapide à la course (chamelle)
صقل ṣuql agile et léger à la course (cheval)
صلق √ṣlq – مصلاق miṣlāq rapide à la course
عسلق ‛aslaq, ‛isliq léger, agile, leste
فلق √flq – تفيلق tafaylaqa courir avec la plus grande vitesse
فلقط falqaṭa se dépêcher (en marchant ou en parlant)
قذعل √qḏ‛l – مقذعلّ muqḏa‛ill rapide
قزل qazala sauter, faire un soubresaut
قلز qalaza sauter, faire un saut – V. courir lestement (chamois, gazelles, etc.)
قلص qalaṣa sauter, faire un saut – مقلّص muqalliṣ haut des jambes et agile à la course (cheval)
قلطفة qalṭafa agilité (d’un animal petit et rapide dans ses mouvements)
قلقل qulqul rapide à la course (cheval)
قلهم qalhama se hâter, se dépêcher
قلو √qlw – قلا qalā faire marcher devant soi, donner une chasse vigoureuse ; partir tout à coup en emportant son cavalier qui n’a pas encore eu le temps de se raffermir sur son siège (chamelle) – XII. إقلولى ’iqlawlā faire vite, se dépêcher
لحق √lḥq – ملحاق milḥāq chamelle très rapide à la marche
لعق √l‛q – لعوقة lu‛ūqa agilité, prestesse – لعوق la‛waqa faire vite, se dépêcher en faisant qqch
لقع laqa‛a passer rapidement
لقف laqf agile, prompt
لقم √lqm – IV. se mettre de moment en moment à courir (chameau)
لقن laqina comprendre tout promptement
ملق malaqa marcher d’un pas vigoureux – ملق maliq léger et rapide à la course (cheval)
نقل naqala passer rapidement d’un endroit à un autre
هرقل harqala trotter (DRS)
هلق halaqa être rapide à la course
هملق hamlaqa marcher d’un pas rapide
ولق walaqa marcher d’un pas accéléré
NB : On voit que la plupart des racines quadriconsonantiques de cette liste sont de claires extensions de racines triconsonantiques. Certaines peuvent même s’analyser comme résultant du croisement de deux racines, par exemple هملق √hmlq = هلق √hlq + ملق √mlq. Les couples ou trios de racines homoconsonantiques sont également à remarquer : جرش √ǧrš / شجر √šǧr, جمر √ǧmr / رجم √rǧm, زلق √zlq / قزل √qzl / قلز √qlz, etc.
– Extension de la promptitude : le zèle et l’assiduité (Cf. fr. donner un coup de collier) :
جرد √ǧrd – II. se livrer exclusivement et avec zèle à qqch
جرن ǧarana s’appliquer à qqch, y travailler avec assiduité
عرج √‛rǧ – V. se livrer à qqch, s’en donner à cœur joie
علق √‛lq – V. se livrer avec assiduité à qqch
قبل qabila poursuivre une chose avec assiduité
قذل qaḏala s’appliquer à qqch
قلد √qld – V. s’atteler à (une tâche)
Il serait assez difficile de croire a priori que tous ces mots et toutes leurs acceptions ont une même origine : un grondement émanant de la gorge d’un mammifère ou un claquement de ses dents. Et pourtant, on l’a vu, il n’y a pas de solution de continuité : certes des formes, des sens, des sèmes se sont évaporés en route mais c’est bien la même eau qui, de cascade en cascade et en s’enrichissant régulièrement d’affluents, a parcouru cet itinéraire depuis sa source.
Notes
1. Le son et le sens, pp. 133-161.
2. La parole improvisée étant le propre de l’homme, on est en droit de se demander s’il ne faudrait pas voir là l’origine du sens de رجل raǧul. C’est ainsi que l’homme primitif aurait distingué son semblable des autres primates : “celui qui ne se limite pas à émettre des cris mais qui s’exprime dans un langage articulé, le parleur.”
3. Cf. إبريج ’ibrīǧ “outre à beurre”, cité dans notre étude La tour et les signes du Zodiaque (برج √brǧ).
4. La présence ici de رجلة raǧla n’est pas anodine. Elle pourrait expliquer que la partie du corps la plus impliquée dans l’action de marcher se dise رجل riǧl. On imagine le nombre de dérivations sémantiques et de siècles qu’il aura fallu pour passer ainsi de la gorge au pied... Les racines quadriconsonantiques حرجل √ḥrǧl, فرجل √frǧl et هرجل √hrǧl sont de claires extensions de رجل √rǧl.
5. Racine « valise » clairement composée par l’association de همرج √hmrǧ avec رجل √rǧl.
Chapitre 4. La fonction giratoire du cou
Sans atteindre les capacités extraordinaires du cou du hibou(1), la fonction de celui des humains et des animaux qui en sont dotés, est bien, en effet, de permettre à leur tête de se mouvoir un peu de tous côtés, de droite à gauche et de haut en bas, quelle que soit la mobilité du reste du corps. Et mouvoir la tête n’a le plus souvent d’autre raison que de vouloir regarder ce qui se passe autour de soi, quelle que soit par ailleurs les capacités de mobilité des yeux. Souvent, une mobilité accrue de la tête compense une faible mobilité des yeux ; c’est le cas du hibou. On voit par là que le regard, quelle que soit sa durée et sa direction, sera lié à la fonction giratoire du cou.
Nous laisserons la question du regard pour la fin. Elle est en effet secondaire par rapport au nombreuses dérivations sémantiques engendrées par cette fonction du cou, laquelle va évidemment déboucher sur les actions de tourner ou de rouler, sur les objets ronds ou simplement courbes, etc. Autrement dit, la rubrique nº 3 de la notice GR- du DRS – « La notion de rondeur > rouler, etc. » –, la dernière qu’il nous restait à voir, est elle aussi, mais ici par l’intermédiaire du cou, à rattacher à la gorge. Finalement, du début à la fin de cette notice, on peut dire qu’il n’est question que de la gorge et du cou.
Le chapitre 5 de l’ouvrage de Bohas et Saguer(2) – sous l’intitulé La matrice {[labial],[dorsal]} “Courbure, rotondité” – traite aussi de tout ce qui est courbe. Nous partageons donc avec le corpus de ce chapitre celles de nos racines ambigües dont la troisième radicale est une labiale, comme فرج √frǧ, برج √brǧ, etc. Et nous partageons forcément une partie de l’arborescence sémantique révélée par les auteurs.
A. Les trois mouvements de la tête permis par le cou
– tourner le cou, la tête, son visage ; se tourner du côté de qqn, vers qqch
عجر ‛aǧara tourner le cou, comme pour se tourner du côté de qqn
قبل √qbl – IV. se tourner et se diriger vers un point ; tourner son visage vers un objet
قلب √qlb – VII. se tourner vers qqch
La notion de côté : à côté, sur le côté, du côté de ; à droite, à gauche ; le côté qui fait face ; en face
جرهة ǧarha côté, flanc
جور √ǧwr – V. tomber sur le côté
حجرة ḥaǧra, ḥuǧra côté
حرجل ḥarǧala courir tantôt à droite, tantôt à gauche
رجح rağaḥa pencher d’un côté à cause du poids
رجو √rǧw – رجًا raǧan, رجاء raǧā’ côté, paroi d’un puits
عرج ‛araǧa – II. prendre à droite ou à gauche pour faire halte – VII. incliner, être incliné, s'incliner d'un côté
سلق √slq – سليق salīq côté du chemin
صقل ṣuql côté – صقال ṣiqāl flancs
قبل √qbl – قبلة qibla côté qui nous fait face
لقط √lqṭ – III. être en face, faire face
لقي √lqy – تلقاءَ tilqā’a du côté de, en face de
Extension : se trouver, se tenir ou habiter à côté > la proximité physique et sociale, le voisinage, la parenté
جور √ǧwr – III. être voisin de quelqu'un – VI. et VIII. être voisin, voisins les uns des autres ; être en rapports de bon voisinage – جار ǧār voisin ; maison voisine ; associé dans le commerce ; lié par les liens de patronage et de clientèle ; mari – جارة ǧāra voisine ; femme, épouse – جوار ǧawār voisinage
حجر ḥiǧr parenté, liens du sang ou d’alliance
رجم raǧm compagnon, camarade – رجم raǧam frères
شرج šaraǧa tenir compagnie à qqn dans qqch – شرج šarǧ association
عقل √‛ql – عاقل ‛āqil héritier le plus proche – عاقلة ‛āqila parents du côté du père
قبل √qbl – IV. arriver, approcher – قابل qābil prochain – قبيل qabīl lignée du père ; famille – قبيلة qabīla tribu
قتل qitl compagnon ; cousin germain
لحق laḥiqa rejoindre qqn
– pencher le cou, la tête ; (se) pencher, (s’)incliner
جرع √ǧr‛ – IV. se pencher, s’incliner
عجر ‛aǧara pencher le cou
قتل √qtl – V. marcher avec des airs penchés
– lever la tête, allonger le cou
جردح ǧardaḥa allonger le cou – مجردح muǧardaḥ qui porte la tête haute
B. Généralisation aux mouvements circulaires
– tourner sur soi-même autour de son axe
جرج ǧariǧ qui tourne (se dit des objets circulaires, comme le cerceau, une bague)
جرجر √ǧrǧr – جرجارة ǧarǧāra moulin
جمعر ǧam‛ara tourner, mouliner – جمعورة ǧum‛ūra disque rond, de bois
نجر √nǧr – منجور manǧūr grande poulie à l’aide de laquelle on tire de l’eau du puits – منجورة manǧūra roue hydraulique à irrigations
Les noms de pivots et d’articulations
برجم burǧum et برجمة burǧuma articulation du milieu d’un doigt ; articulation
جرّ √ǧrr – جارور ǧārūr pivot sur lequel la porte tourne
رجب √rğb – راجبة rāğiba dernière articulation d'un doigt, la plus proche du bout
نجر √nǧr – نجران naǧrān pièce de bois horizontale du seuil dans le trou de laquelle s'emboite et tourne le pied de la porte (selon la manière dont les portes sont faites en Orient)
– tourner autour de qqch, en faire le tour ; pourtour, alentour ; former un cercle
جدر ǧadara faire élever une muraille autour de quelque chose
جفرة ǧufra pourtour, circonférence
حجر ḥaǧara – II. être entouré du halo (lune) – محجر maḥǧar pourtour, circonférence (d’une ville) – محجر miḥǧar, miḥǧir orbite, cercle de l’œil ; alentour, pays autour d’un bourg – حاجورة ḥāǧūra jeu qui consiste en ce qu’on cherche à attraper la personne qui est au milieu du cercle formé par ceux qui jouent
رجع √rǧ‛ – V. tourner autour de l'abreuvoir
روج √rwǧ – راج rāǧa courir avec rapidité tout autour
حلق ḥalaqa – II. être entouré d’un cercle (lune) ; marquer une pièce du troupeau d’une marque ciculaire en forme de boucle – V. s’assoir en cercle, former un cercle – حلقة ḥalqa réunion de personnes assises en cercle
– entourer, (se) ceindre ; ceinture ; panser, bander
جبر ǧabara panser, bander
جرب √ǧrb – جربان ǧirbān ceinture
شرج √šrğ – شريجة šarīğa ceinture en joncs employée dans les bains
حلق ḥalaqa entourer, ceindre
صلق √ṣlq – صولق ṣawlaq ceinture
قلد qalada entourer qqch de fil de fer – V. se ceindre (d’une arme)
– tournoyer dans les airs ; faire des plis ; serpenter, zigzaguer ; serpents
جرز ǧurz pl. أجراز ’aǧrāz corps du serpent, les replis de son corps
جرن √ǧrn – جارن ǧārin petit de serpent, jeune serpent
عجر ‛aǧira faire des plis
عرج √‛rǧ – V. serpenter, zigzaguer – تعاريج ta‛ārīǧ méandres (d’un fleuve), plissements (de terrain) – منعرج mun‛araǧ détour, coude, sinuosité (d’un fleuve, etc.)
بلق √blq – أبلق ’ablaq serpent
حلق √ḥlq – II. planer et tournoyer dans les airs
عقل √‛ql – عاقول ‛āqūl détour, sinuosité, coude que fait un fleuve ou une vallée
قزل √qzl – أقزل ’aqzal sorte de serpent
قلب qulb serpent blanchâtre
NB : Nous retrouverons les serpents au début du Chapitre 6.
– tordre, tresser ; corde
حدرج ḥadrağa tordre une corde pour la rendre plus solide
سرج sariǧa tresser les cheveux
سرهج sarhaǧa tordre avec force
عرجد ‛urğud rameau tortu de palmier
عرجن ‛arğana – عرجون ‛urğūn arbre ou rameau desséché et tortu
حلق ḥalaqa serrer en tordant avec force (une corde) – حلقة ḥalqa corde
قفعل √qf‛l – IV. ’iqfa‛alla être contordu et contracté (main)
قلد qalada tordre (une corde) – قليد qalīd tressé ; cordon, ruban, galon – إقليد ’iqlīd corde tressée de feuilles de palmier avec laquelle on noue un panier à dattes ; fil de fer ou de cuivre
قلس qals grosse corde tressée, câble de vaisseau
لقي luqiya avoir la bouche tordue par la paralysie
– retourner, revenir ; reflux, retour
جبر √ǧbr – V. revenir, retourner à qqn qu'on avait quitté
جزر ǧazr reflux
رجع raǧa‛a revenir, retourner, s'en retourner, rentrer
عجر ‛aǧara revenir, rentrer au milieu des siens, au gîte
قفل √qfl – IV. ramener qqn, le faire retourner d’un voyage – قفل qafl caravane à son retour
– retourner qqch ; se retourner ; changer
خرج √ḫrǧ – خرّاج ḫarrāǧ habile, qui sait se retourner et se tirer d’affaire
رجع raǧa‛a être inconstant et tourner à chaque instant (se dit du vent qu'on ne peut pas déterminer au juste de quel côté il souffle)
رنجح ranğaḥa tourner un mot dans sa bouche, et le changer
روج √rwǧ – راج rāǧa être inconstant et tourner à chaque instant (vent)
نجر naǧr inconstance, fréquents changements
همرّج hamarraǧ qui sait se retourner dans les affaires
قلب qalaba tourner, retourner – قلب qaliba être renversé, retourné (lèvre) – قلّب qullab qui sait se retourner, habile dans la conduite des affaires
قلعة qulu‛a instabilité
قلف qalafa tourner, retourner une chose, la mettre à l’envers
نقل naqal changement de personne qui parle
– détourner, écarter ; se détourner, s'écarter
جمر ǧamara détourner (un mal, une mauvaise influence)
جور √ǧwr – جار ǧāra s'écarter de la ligne droite, du but ; aller à côté du but, le manquer
رجع raǧa‛a détourner une chose d'une autre
شجر šaǧara détourner
فرج √frǧ – II. écarter, dissiper (les obstacles, les nuages, les soucis)
فرحج farḥaǧa écarter les jambes en marchant
قلب qalaba détourner, tourner qqch du côté de qqn
Sens figuré : s’écarter de ce qui est juste et droit ; être injuste ; péché, délit, crime, vice, défaut...
جرّ √ǧrr – جريرة ǧarīra péché, délit, crime, méfait
جرش ǧaraša – جارش ǧāriš injuste, qui agit injustement
جمهر ǧamhara être injuste envers qqn
جور √ǧwr – جار ǧāra être injuste, commettre une injustice à l'égard de quelqu'un (comme juge)
حرج ḥaraǧa commettre un crime, un péché
جرم ǧarama commettre un délit, un crime contre qqn
رجس raǧasa commettre un crime, un péché
فجر faǧara s’écarter de ce qui est juste et droit
قذل qaḏala s’écarter de la ligne droite et agir avec injustice – قذل qaḏil vice, défaut
قلبة qalaba défaut, vice
قلزمة qalzama vice, tache ou action qui attire le blâme
C. Les objets ronds, rouler, etc.
– rond, sphérique ; objets courbes, ronds, sphériques ou cylindriques
جرد √ǧrd – جريدة ǧarīda rouleau sur lequel on écrit
دحرج √dḥrǧ – مدحرج mudaḥraǧ rond, arrondi, globuleux
حلق √ḥlq – II. gonfler le ventre, l’arrondir – حلق ḥilq, حلقة ḥalqa bague, anneau
قبلة qabala rond au bas du fuseau
قلد √qld – مقلد miqlad bâton recourbé en haut avec lequel on tourne ou tortille qqch
قلهبسة qalhabasa rond (tête)
– rouler, faire rouler, se rouler
دحرج daḥraǧa rouler, faire rouler
درج daraǧa rouler, ployer un papier ou une pièce d'étoffe
صلق √ṣlq – V. se rouler tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos et pousser des cris
قلد qalada rouler une chose sur une autre
D. Les mouvements verticaux, sutout de haut en bas, ou alternés
– mouvements alternés : se balancer, boiter
رجّ √rǧǧ – أرجوجة ’urǧūǧa balançoire, bascule
رجح √rğḥ – رجاحة ruǧāḥa, أرجوحة ’urǧūḥa balançoire
عرج ‛ariǧa boiter
هرجع harǧa‛ boiteux
قتل √qtl – V. marcher en se balançant
قلز qalaza clocher, boiter
– pencher, être incliné
عرج √‛rǧ – VII. incliner, être incliné, s'incliner d'un côté
رجح rağaḥa pencher d’un côté à cause du poids
Sens figuré : penchant, inclination pour > amitié, tendresse
جور √ǧwr – جار ǧār ami
دربج darbaǧa devenir doux et docile (bête de somme) ; marcher lentement (chamelle qui ralentit par tendresse pour son petit)
درجب darǧaba avoir de la tendresse pour son petit (chameau)
درجن darǧana s’éprendre de tendresse pour son petit (chamelle)
درمج darmaǧa marcher lentement (chamelle qui craint de s’éloigner de son petit)
سجر √sǧr – III. entretenir des rapports d’amitié avec qqn – سجير saǧīr ami sincère et dévoué – شجير šaǧīr compagnon
عرجة ‛arǧa, ‛urǧa penchant, inclination que l’on a pour qqch
ذملق ḏamlaqa flatter, cajoler
علق ‛alaq, ‛ilq, علوق ‛ulūq attachement, inclination – علوق ‛alūq chamelle qui a de la tendresse pour un petit qui n’est pas à elle ; femme mariée qui a un amant
قتل qitl ami
لحق laḥiqa s’attacher à qqn, en être inséparable
لقس laqasa avoir un penchant pour qqch
NB : On nous permettra de penser que les Mu‛allaqāt – المعلّقات – sont ainsi nommées non parce que ces poèmes auraient été suspendus au temple de la Mecque, comme le veut la tradition, mais plutôt parce qu’ils étaient les préférés du public, ceux auxquels le public était le plus attaché. Cela dit, l’un n’empêche pas l’autre.
Extension : mettre sur une balance pour peser
شقل šaqala peser (des pièces de monnaie)
– tomber (par excès d’inclinaison ou de poids); tomber sur, fondre sur ; faire tomber, jeter à terre
جربز ǧarbaza tomber
جرثم √ǧrṯm – II. tomber la tête en avant
جرج √ğrğ – II. faire tomber, faire glisser
جرجم ğarğama renverser, démolir, faire crouler – II. tomber, crouler
جردل ǧardala menacer ruine, menacer de tomber
جرع √ǧr‛ – IV. tomber
جرعب √ǧr‛b – IV. tomber, être renversé
جور √ǧwr – V. tomber, crouler ; tomber sur le côté
دحرج daḥraǧa faire tomber, faire dégringoler de haut en bas
رتج √rtğ – IV. tomber continuellement en masse (neige)
رجح √rğḥ – XIII. [irǧaḥanna] tomber d’un seul coup
رهج √rhǧ – IV. laisser tomber une pluie abondante
ضرج √ḍrǧ – VII. fondre d’en haut sur sa proie
عجر ‛aǧara fondre sur qqn le sabre à la main
هرجل harǧala marcher d’un pas incertain et chancelant
دلق dalaqa sortir, couler, s’échapper, tomber (sabre qui ne tient pas bien dans le fourreau)
زلق zalaqa faire trébucher qqn
سلق salaqa renverser qqn de manière à le faire tomber sur le dos
سلقا salaqā – III. ’islanqā tomber à la renverse
صقل ṣaqala jeter qqn à terre
صلق ṣalaqa tomber sur qqn, une tribu, et en faire un grand carnage
عقل ‛aqala renverser qqn par un croc-en-jambe
قبل √qbl – IV. fondre sur qqn
قحلز √qḥlz – II. tomber à terre sous le coup qu’on a reçu
قطل √qṭl – II. jeter par terre sur le côté
لقص laqiṣ qui se jette à corps perdu dans le vice
لقف laqifa s’ébouler, tomber en ruine
لقي √lqy – X. tomber à la renverse ; tomber sur qqn qui est à côté
مقل maqala plonger qqch entièrement dans l’eau
Extension 1 : tomber de sommeil, dormir, chambre
حجرة ḥuǧra chambre
رجل riǧl somnolent, qui dort toujours
فجر √fǧr – فاجر fāǧir que l’on passe à dormir (yawm... journée...)
ثقلة ṯaqla somnolence, envie de dormir – ثقيل ṯaqīl vaincu par le sommeil, dormant
قلد √qld – XIII. ’iqlawwada s’emparer entièrement de qqn (sommeil)
قيل √qyl – قال qāla faire qqch à midi, notamment dormir – قيلولة qaylūla sieste
Extension 2 : tomber mort, mourir ; gisant ; tombe, tombeau
جمهر ǧamhara élever un tombeau
حجرة ḥuǧra tombeau
رجم raǧam, رجمة ruǧma tombeau
فرج √frǧ – مفرج mufraǧ gisant dans les champs, à l’écart des habitations (homme tué)
مرج mariǧa tomber et rester gisant et abandonné par terre
حلق √ḥlq – حلاق ḥalāq mort, trépas
علق √‛lq – علاقة ‛alāqa mort, trépas
قلت qalita périr
نقل √nql – VIII. passer au séjour éternel, mourir
Extension 3 : tomber sur, rencontrer, trouver
جرمز √ǧrmz – II. tomber sur qqn, rencontrer qqn
علق √‛lq –IV. trouver, rencontrer quelque objet de prix, un trésor
قبل √qbl – VI. se rencontrer et se trouver face à face les uns avec les autres – X. aller au-devant de qqn, aller à sa rencontre
لقط √lqṭ – VIII. tomber inopinément sur qqch
لقي laqiya rencontrer qqn ou qqch
– pendre, pendiller (Cf. fr. un vêtement ou une draperie qui “tombe bien”)
رجح √rğḥ – IV. pendiller – V. pendiller, être suspendu en l’air et agité
رجف √rǧf – IV. avoir les oreilles lâches, pendantes et tremblantes (chamelle)
رجل raǧala lier et suspendre une bête par les pieds
سجر √sǧr – مسجّر musaǧǧar, مسجور masǧūr pendant, qui descend, qui tombe vers la terre (chevelure, draperie)
دقل √dql – دوقل dawqala pendre, être pendant
علق ‛aliqa se suspendre, être suspendu
E. Le regard
جحر ǧaḥara plonger, s’enfoncer en cherchant à sonder la profondeur d’un abîme (œil)
جرشم ǧaršama fixer les yeux avec attention sur qqch
عسجر ‛asǧara regarder d’un regard fixe, pour bien voir
فرج √frǧ – V. se promener, flâner et regarder tout
وجر √wǧr – أوجر ’awǧar très circonspect et méticuleux
حدقل ḥadqala tourner, promener les yeux, les pupilles des yeux (comme fait celui qui regarde les yeux en coulisse)
حملق ḥamlaqa ouvrir ses grands yeux et regarder un objet les yeux fixes
زلق √zlq – IV. regarder qqn d’un regard farouche, avec colère
قفل √qfl – IV. suivre qqn des yeux
لمق lamaqa regarder qqn, jeter un regard sur qqn ; fixer qn de ses yeux
مقل maqala regarder, fixer qqn des yeux
Nous ne pouvons clore ce chapitre sans faire observer, une fois de plus, de curieuses coïncidences entre le sémitique et l’indo-européen. Le lecteur aura certainement remarqué que la séquence GR se retrouve en effet dans le mot giratoire qui qualifie la fonction du cou étudiée ici. Or giratoire est – comme l’italien giro – issu du grec γῦρος [gûros] « cercle, rond », d’origine incertaine pour ne pas dire inconnue. Et le synonyme le plus usuel de γῦρος [gûros], c’est κύκλος [kúklos], ancêtre de nos cycle et cylindre et dans lequel on retrouve cette fois-ci la séquence QL. La racine indo-européennne de κύκλος [kúklos] est connue ; c’est *kwel- « tourner, cercle ». Outre κύκλος [kúklos], on rattache à cette racine le latin collum « cou », le grec πόλος [pólos] « pivot », l’anglais wheel « roue », etc. On est en droit de se demander s’il ne s’agit vraiment que de simples « coïncidences ».
Les défenseurs du nostratique ne se le demandent plus : cette dernière rencontre se trouve en effet dans le Dictionnaire de nostratique de Dolgopolsky sous le nº 1053, qui se contente pour l’arabe de la racine قلب √qlb : nous savons maintenant que c’est l’étymon {q,l} qu’il faudrait y mettre plutôt qu’un seul de ses probables dérivés. En revanche, s’il y a bien quelques mots sémitiques sous le nº 658, on n’y trouve encore ni le grec γῦρος [gûros] ni aucun de nos dérivés arabes de l’étymon {ǧ,r} dont ce serait apparemment la place. Un vide à combler ?
Notes
1. La tête du hibou a une capacité de rotation de 270º. Ce qui compense la faiblesse de rotation de ses yeux, cylindriques et non sphériques.
2. Le son et le sens, pp. 163-219. Voir aussi de Bohas, L’illusion de l’arbiraire du signe, chapitres 3 et 4. La réflexion de Bohas sur la courbure n’ayant cessé d’évoluer depuis la parution de Le son et le sens, nous renvoyons le lecteur à ce qu’il publiera sur le sujet après la date de publication de la présente étude (janvier 2019).
Chapitre 5. La fonction vitale de la gorge et du cou
Nous approchons de la fin de cette étude en ayant rattaché à la rubrique nº 1 de la notice GR du DRS toutes les autres rubriques. Mais nous n’en avons pas pour autant terminé avec la gorge et le cou. Tous les égorgeurs, étrangleurs et autres coupeurs de tête savent depuis la nuit des temps qu’intervenir violemment sur la gorge d’un être vivant en la serrant ou en la tranchant ou même en lui tordant le cou, c’est mettre immédiatement fin à sa vie, le tuer, que l’action ait lieu ou non dans un coupe-gorge. Même si ces actions pourraient, en dernière analyse, être rattachées à la saisie de la nourriture végétale ou animale (voir Chapitre 2. La fonction ingestive), nous avons préféré leur faire ici la place à part que cette partie du corps semble justifier.
NB : Parmi les matrices phoniques étudiées par Bohas, au moins trois ont l’action de porter un coup comme invariant sémantique. On retrouvera donc certainement ici ou dans le Chapitre 2 des racines appartenant par un autre étymon à l’un ou l’autre des corpus propres à ces matrices. On en conclura, au moins provisoirement, que ces racines peuvent s’analyser comme résultant du croisement de deux étymons ayant respectivement les charges sémantiques de 1. porter un coup et 2. gorge / cou.
A. étrangler, étouffer, noyer > suffoquer
جئر ǧa’ira être suffoqué à force de crier
جرّة ǧarra, ǧurra piège en bois avec un coulant à l’aide duquel on prend les gazelles
جرض ǧaraḍa étrangler, étouffer – جرض ǧariḍa étouffer, être suffoqué par l'abondance de la salive, étant oppressé ou en proie à un grand chagrin
جرط ǧaraṭa être suffoqué par un morceau qu’on mange
علق ‛aliqa être pris dans les lacets
قلد √qld – IV. envelopper qqn de ses flots et le noyer (mer)
NB : Les pièges dont il est ici question se caractérisent par l’utilisation de lacets enserrant le cou de l’animal. Nous trouverons d’autres sortes de pièges dans le prochain chapitre.
Sens figuré : opprimer, forcer, contraindre, être dur avec qqn > être oppressé
بجر buǧr méchanceté
برجمة barǧama paroles dures ; dureté dans les paroles
جأّر √ǧ’r – جائر ǧā’ir angoisse, serrement de cœur
جبر ǧabara forcer, contraindre – جبّار ǧabbār homme violent, tyran
جحرمة ğaḥrama méchanceté
جرذ √ǧrḏ – IV. forcer, contraindre à qqch
جرض ǧariḍa étouffer, être suffoqué par l'abondance de la salive, étant oppressé ou en proie à un grand chagrin
جزر √ǧzr – جزّار ǧazzār tyran
جعطريّ ǧa‛ṭariyy dur, inhumain
جمهر ǧamhara être dur envers qqn
جور √ǧwr – جار ǧāra opprimer qqn, agir en tyran – جوريّ ǧawriyy oppressif, despotique, tyrannique(1)
حجر √ḥğr – V. être dur envers qqn
حرج ḥarağa éprouver un serrement, une angoisse (se dit du cœur, de la poitrine) – IV. réduire à la gêne, à la misère ; forcer qqn à chercher refuge chez un autre
ربج √rbğ – رباجيّ rabāğiyy homme dur, inhumain, barbare
ضجر ḍağira être oppressé, être dans l'angoisse, éprouver de l'ennui
عجرف √‛ğrf – II. traiter qqn avec dureté, être dur, inhumain, et imposer à qqn des travaux pénibles, ou le charger d'une affaire désagréable
عسجرة ‛asǧara méchanceté, mauvais caractère ; bassesse, caractère ignoble
وجر √wǧr – IV. contraindre à (DRS)
بلق balaqa violer, forcer une fille
ثقل √ṯql – IV. opprimer qqn
حلق √ḥlq – حالوقة ḥālūqa sévère, dur (homme)
عسلق ‛aslaq, ‛isliq méchant
علق ‛ilq méchant, mauvais homme, suppôt du diable
قلز √qlz – قلزّ qilizz, quluzz très dur et inhumain
هقلّس haqallas méchant de caractère
NB : Sous plusieurs racines, dont جور √ǧwr et جمهر √ǧmhr, la plupart des dictionnaires associent l’oppression et la tyrannie à l’injustice (voir Chapitre 4. La fonction articulatoire). C’est à notre avis une erreur de donner ainsi à entendre que ces notions sont plus ou moins synonymes, quand bien même elles seraient exprimées en arabe par un même mot ; s’il est vrai que la tyrannie implique forcément l’injustice, on ne peut pas dire que l’injustice implique forcément la tyrannie.
B. blesser au cou, à la gorge ; égorger, couper la tête
جدر ǧadara avoir au cou une blessure faite par un animal, et le cou enflé
جزر ǧazara égorger (une bête)
حنجر ḥanğara égorger
حلق ḥalaqa blesser à la gorge
حلقم ḥalqama couper la gorge à qqn
سلقع salqa‛a frapper sur le cou
علق √‛lq – معلوق ma‛lūq celui chez qui une sangsue est suspendue à la gorge
قتل qatl peine capitale, surtout par la décapitation
قصل qaṣala couper le cou – مقصلة miqṣala guillotine
قطل qaṭala couper (le cou)
Généralisation : piquer, percer, blesser, tuer
جدرة ǧadara cicatrice (Reig)
جرح ǧaraḥa blesser qqn, lui faire une plaie
جرّ √ǧrr – IV. porter un coup de lance
جرز ǧaraza piquer – جرزة ǧaraza perte, ruine ; extermination
جزر ǧazar homme tué (sur le champ de bataille)
رجل raǧala blesser qqn au pied(2)
رجم raǧama tuer, assassiner
شجر šağara percer avec une lance
فرج faraǧa pourfendre – فرج farǧ coupe-gorge, lieu dangereux
هرج haraǧa tuer
سلق salaqa, سلقا salqā frapper, percer qqn avec une lance
قتل qatala tuer – قتيل qatīl tué (homme) – قتيلة qatīla victime (homme ou femme)
قلب qalaba frapper qqn au cœur
قلس √qls – قلّاسة qallāsa vigoureux coup de lance
قلف qalafa circoncire (un garçon)
قول √qwl – قال qāla tuer qqn
لقع laqa‛a piquer (serpent)
ولق walaqa porter à qqn un léger coup de sabre ou de lance
Sens affaibli : frapper
رجل raǧala toucher, frapper qqn au pied
نجر naǧara donner à qqn une chiquenaude
دقل daqala frapper qqn sur quelque partie de la tête
شلق šalaqa frapper avec un fouet
صقل ṣaqala frapper avec un bâton
صلق ṣalaqa frapper qqn avec un bâton
علقة ‛ulqa volée de coups de bâton
قذل qaḏala frapper sur la tête
قلخ √qlḫ – II. frapper qqn fortement avec un fouet
قلز qalaza frapper
قلمع qalma‛a porter un coup sur la tête et jeter en bas
قلي √qly – قلى qalā frapper qqn à la tête
لقز laqaza donner un coup de poing sur la poitrine
لقّ laqqa frapper l'œil avec la main
لمق lamaqa frapper l’œil de qqn avec la paume de la main
لوق √lwq – لاق lāqa porter avec la main un coup dans l’œil
ملق malaqa frapper qqn avec un bâton
C. Extensions de percer : poindre > briller > zénith > haut
Si le sabre et le couteau tranchent, les autres armes blanches, qu’elles soient dague, épée, flèche ou lance, percent. Par la même métaphore en arabe qu’en français, le soleil perce puis brille à l’aurore à l’horizon ou en plein jour à travers un nuage, le jour point et les choses peu à peu sortent de l’ombre, apparaissent :
برج bariğa devenir apparent, manifeste, visible(3)
جشر ğašara percer, poindre et briller (aurore)
جهر √ǧhr – VI. paraître au grand jour
خرج ḫaraǧa sortir
عجر ‛aǧara sortir, apparaître, se montrer
فجر √fǧr – V et VII. percer, poindre et apparaître (aurore)
بلقع √blq‛ – II. briller, paraître (aurore)
جلق ğalaqa faire voir, faire briller qqch en ôtant le voile
ذلق ḏaliqa luire
سلقع √slq‛ – III. briller dans les nuages
فلق falaq aurore
Généralisation : midi , éclair
Quand il s’agit de briller, c’est à midi que le soleil donne le maximum de lui-même, autrement dit quand il est au zénith. Dans le ciel, le soleil n’a pas le privilège de la brillance, les étoiles aussi brillent, mais la nuit, et aussi les éclairs à toute heure du jour ou de la nuit. Enfin, par la même métaphore qu’en français, brille, est brillant, tout ce qui a de l’éclat :
جحر ǧaḥara s’élever au zénith, à l’apogée (soleil)
جشر √ğšr – جاشريّة ğāširiyya midi, heure de midi
رجل √rǧl – V. s’élever, être avancé (jour)
رعج ra‛aǧa briller continuellement (éclairs)
سرج sariǧa briller, lancer des éclairs
ضرج √ḍrǧ – V. se montrer dans tout l’éclat de ses atours ; se répandre (éclat des éclairs)
عرج √‛rǧ – عريجاء ‛urayǧā’ midi, heure de midi
هجر √hǧr – هاجرة hāǧira heure de midi, où la chaleur est le plus intense
ألق √’lq – V. briller
برقل barqala faire des éclairs de chaleur
بلق √blq – VIII. briller, luire
حلق √ḥlq – II. être au plus haut du ciel (étoile)
خلق ḫulq dans nawmat al-ḫulq méridienne, sieste qu’on fait sur le midi
عقل ‛aqala être vertical (ombre à midi)
قيل √qyl – قال qāla faire qqch à midi, notamment boire ou dormir – قيلولة qaylūla sieste
Extension : la montée du soleil dans le ciel de l’aurore à midi a engendré tout un champ sémantique de la percée en hauteur, c’est la métaphore de tout ce qui s’élève, monte, pousse (en parlant des dents et des plantes), grandit, enfle, bout, mousse, écume, tout ce qui finit par être haut, pointu :
برج bariğa être haut, élevé
جدر ǧadara s’élever au-dessus du sol (plantes qui commencent à couvrir le sol)
درج dariǧa monter par degrés
سجر √sǧr – II. au passif se gonfler (mer agitée)
عجر ‛aǧara pousser
عرج ‛araǧa monter, s’élever à l’aide d’une échelle
بقل baqala pousser, paraître (dent de chameau) ; produire des herbes (terre) ; croître et commencer à avoir des feuilles
ذلق ḏaliqa être pointu, terminer en pointe
رقل √rql – راقل rāqil haut, grand, d’une grande taille
سلق salaqa bouillir, faire bouillir – V. se hisser au haut du mur – سلّاق sullāq Ascension
قلج √qlǧ – II. grandir (plante)
قلس √qls – قلنسوة qalansuwa bonnet pointu, mitre
قلص qalaṣa s’élever, être haut (eau dans un puits)
قلف qalafa mousser, écumer
قلّ √qll – IV. hausser, hisser, faire monter
قلو √qlw – XII. إقلولى ’iqlawlā voltiger très haut dans les airs ; percher au sommet d’un arbre
NB : L’indépendance dont nous parle maintenant quasi exclusivement la forme X de قلّ √qll est l’élévation au pouvoir du souverain, non du peuple. Il faut en effet savoir qu’en arabe classique, avant d’avoir ce sens, cette forme a d’abord eu – sur le thème de la hauteur – les sens suivants, donnés dans cet ordre par Kazimirski :
1. hisser sur ses épaules ou sur sa tête et porter (par ex. une cruche)
2. être haut, sublime, bien haut au-dessus de nos têtes (en parlant de la voûte des cieux)
3. grandir (plantes)
4. s’élever très haut dans les airs (oiseau)
5. s’enorgueillir, s’élever au-dessus de ses semblables
6. se rétablir et se lever (malade)
Extensions : les saillies du corps : bosse, hernie, tumeur, pustule, enflure, sommet de la tête
بجر bağira avoir la hernie ombilicale
جرذ ǧaraḏa se fermer et former comme une excroissance (plaie, ulcère)
عجر ‛aǧar, عجرة ‛uǧra saillie, protubérance
عجرم √‛ǧrm – معجرم mu‛aǧram bosse du chameau
سلق √slq – سلاق salāq tumeur, enflure
قصل √qṣl – قصيلّة qiṣyalla qui a une tumeur au nombril, ou une hernie ombilicale قلط √qlṭ – قليط qalīṭ qui a une hernie ou une tumeur au scrotum
قلي √qly – قلىً qulan sommets des têtes des hommes
قيل √qyl – قيلة qayla hernie
... les saillies de la terre : sommet, colline, montagne
جرداح ǧirdāḥ collines
جرعة ǧaru‛a monticule de sable
حجر ḥaǧr colline sablonneuse – حاجر ḥāǧir plateau élevé et renfoncé au milieu
حلق √ḥlq – حالق ḥāliq montagne élevée
عقل ‛aqala monter bien haut sur la montagne (chamois) – معقل ma‛qil montagne très haute
قبل qabal colline élevée qui nous fait face, versant ou sommet d’une montagne qui est devant nous
قعل √q‛l – قاعلة qā‛ila sommet d’une montagne ; montagne longue et roide – قوعل qaw‛ala être juché au haut d’une colline
قلع √ql‛ – قلاعة qulā‛a rocher isolé dans la plaine
قلّة qulla sommet, cime (d’une montagne) ; colline
قلي √qly – قلىً qulan sommets, cimes des montagnes
لقح laqaḥ montagne
لقي √lqy – ملقًى malqan endroit au haut d’un rocher où l’on voit un chamois perché
وقل waqala monter sur une montagne, la gravir
... et enfin celles de la société des hommes : élite, seigneur, roi, chef
جرثم √ǧrṯm – جرثوم ǧurṯūm seigneur, chef
عقل √‛ql – عقيلة ‛aqīla chef d’une tribu, d’une famille
قبل √qbl – قبيل qabīl chef d’une tribu
قلد √qild – مقلّد muqallad chef (d’une tribu)
قلمس √qlms – قلمّس qalammas chef puissant
قول √qwl – VIII. exercer sur qqn une autorité, être son supérieur ou son souverain – قيل qayl roi (chez les Himyarites)
مقلة muqla choix, élite
هلقم hilqam chef qui a grand soin des siens et veille à leurs affaires
Notes
1. Ce mot (avec ce sens) ne figure que dans le dictionnaire de Daniel Reig.
2. On a vu plus haut (Chapitre 3. La fonction vocale de la gorge) comment un mot de cette racine en est probablement venu à désigner le pied, au point que ce sens prime maintenant sur tous les autres.
3. Cf. notre étude La tour et les signes du Zodiaque.
Chapitre 6. Les métaphores de la gorge et du cou
A. D’après le long cou de certains animaux
Les animaux et les plantes ont souvent été désignés par ce qui pouvait être considéré comme leur principale caractéristique. On ne sera donc pas surpris de trouver dans notre corpus des noms désignant le serpent et l’anguille et d’autres animaux dotés d’un long cou. Au point qu’un même terme – قلوص qalūṣ – a pu être attribué à trois animaux aussi différents que la chamelle, l’autruche et l'outarde :
بلرج √blrǧ – بلارج balāriǧ cigogne
جرّيّ ǧirriyy anguille
جرف √ǧrf – جورف ǧawraf autruche mâle
جرن √ǧrn – جارن ǧārin petit de serpent, jeune serpent
حبرج ḥubruǧ outarde
بلق √blq – أبلق ’ablaq serpent
سلقع salqa‛ autruche mâle
عسلق ‛aslaq, ‛isliq autruche
قزل √qzl – أقزل ’aqzal sorte de serpent
قلب qulb serpent blanchâtre
قلس √qls – أنقليس ’anqalīs anguille(1)
قلص √qlṣ – قلوص qalūṣ jeune chamelle ; autruche femelle ; petit d'outarde
قلعة qala‛a grande chamelle
لقلق laqlaq, لقلاق laqlāq cigogne
هقل haql, هقلة haqla jeune autruche – هيقل hayqal autruche mâle
Pour ne pas alourdir cette étude, nous nous sommes gardé d’y citer trop de vocables construits sur des étymons différents des deux qui nous ont servi de lignes de conduite, mais sachant que les phonèmes l et n ont en commun avec r le trait phonétique [+sonant], nous ne saurions passer ici sous silence ni جمل ǧamal (étymon {ǧ,l}) ni ناقة nāqa (étymon {q,n}).(2)
On constate également dans notre corpus la présence de termes désignant des objets naturels ou fabriqués dont la forme cylindrique a pu évoquer un cou plutôt allongé comme celui des animaux que nous venons de citer. C’est le cas de tige, étui, fourreau, carquois, flacon, et même chaussette et jambe de pantalon, acception qui nous permet de vérifier que la racine رجل √rǧl ne se limite pas à désigner le pied :
جرب √ǧrb – جورب ǧawrab bas ou chaussettes – جربان ǧirbān et جربّان ǧurubbān fourreau de sabre
جشر √ğšr – جشير ğašīr carquois de cuir
جفر √ğfr – جفير ğafīr carquois
جور √ğwr – IV. mettre, serrer les outils, des objets dans un sac ou un étui
حشرج ḥašraǧ flacon mince
رجل riǧl jambe de pantalon, de caleçon
رمج √rmğ – رماج ramāğ parties comprises entre les nœuds de la tige d’un roseau
شجرة šaǧara tige, tronc ; plante à tige ; arbuste ; arbre
عجر √‛ǧr – عنجورة ‛unǧūra étui à flacon
حقل √ḥql – حوقلة ḥawqala bouteille à goulot long et étroit
قلج qalğ roseau
قلم qalam roseau taillé pour écrire, kalem – مقلمة miqlama et قلمدان qalamdān étui à plumes, à kalems – مقالم maqālim nœuds, nodosités du roseau employé comme bois de lance
لحق √lḥq – لحاق liḥāq étui à arc
لقط √lqṭ – ملقاط milqāṭ roseau à écrire
NB : La tradition voit dans قلم qalam un emprunt, par l’intermédiaire de l’araméen, au grec κάλαμος [kálamos] "roseau, roseau pour écrire". Cette étude nous amène à en douter, mais si c’est exact, on constate que le mot et ses dérivés n’ont eu aucune peine à s’acclimater.
B. D’après l'étroitesse de la gorge
Comme il en va du français avec nos gorges et cols, les mots حنجر ḥanğar ou حنجرة ḥanğara – nous l’avons vu plus haut – désignent également une gorge de montagne(3). On ne sera donc pas surpris de trouver dans notre corpus toute une série de termes désignant d’autres passages naturels plutôt étroits comme les défilés, lits de torrents, vallées, crevasses, fissures, ou dus au travail de l’homme comme le sillon tracé par le laboureur, la ruelle creusée par le chasseur, le vestibule, le cabinet et la cellule :
جرب √ǧrb – جريب ǧarīb vallée
جرّ √ǧrr – جرّارة ǧarrāra terrain encaissé
حجرة ḥaǧra vestibule – حجرة ḥuǧra cabinet, cellule
حرج ḥaraǧ défilé, passage étroit
رتج √rtǧ – مرتج martaǧ col, défilé, passage
رجلة riǧla lit d’un torrent
شرج šarǧ fente, crevasse par où l’eau descend d’un rocher
فجرة fuǧra lit d’un torrent
فرج farǧ fente, fissure, crevasse
وجرة waǧra ruelle que l’on creuse exprès et qui aboutit à une fosse pour prendre les bêtes féroces
سلق silq lit d’un cours d’eau
فلق falq crevasse – فلق falaq terrain encaissé entre deux montagnes
قفل √qfl – قفيل qafīl défilé, chemin étroit à travers les montagnes
قلّيّة qilliyya cellule de moine, cabinet
لقّ laqq fente, crevasse ; sillon – لققة laqaqa sillon
Généralisation 1 : fendre, creuser dans le sens de la longueur
جور √ǧwr – II. creuser, faire un creux – جوّار ǧawwār laboureur
ضرج ḍarağa fendre
شلق šalaqa fendre dans le sens de la longueur
Généralisation 2 : étroitesse, exigüité, contraction, diminution, petitesse
جربز ǧarbaza se contracter
جرثم √ǧrṯm – II. se contracter
جرمز ǧarmaza se contracter – جرموز ǧurmūz petite maison
حرج ḥaraǧa être serré – حرج ḥaraǧ espace étroit
جزر ǧazara tomber, baisser, décroître (eau, surtout de la marée)
ضجر ḍağr étroit (lieu)
قلص qalaṣa être réduit, diminué, se contracter
قلعف √ql‛f – IV. ’iqla‛affa être ridé, ratatiné, contracté
قلّ √qll – IV. diminuer, amoindrir – قلّة qilla exigüité
لقص laqiṣa être étroit
Sens figuré : étroitesse morale, avarice
جحرمة ğaḥrama étroitesse
شرج šaraǧa fermer une bourse en serrant les cordons
قلزم qalzama – II. mourir par suite de son avarice
قلّ √qll – IV. donner peu
Extension : un passage étroit est enclin à se boucher naturellement ou facilite sa fermeture :
جرّة ǧarra, ǧurra piège en bois à l’aide duquel on prend les gazelles
جرف ǧurf pierre, digue en pierre
رتج rataǧa fermer, barrer, barricader (une porte)
رجبة ruǧba piège à l’aide duquel on prend les bêtes, surtout les loups, en y attachant un morceau de viande qui fait tomber la trappe
رجّ raǧǧa faire, bâtir (une porte)
شجر √šǧr – شجار šiǧār morceau de bois servant de verrou
عجر ‛aǧara boucher, fermer (l’orifice, etc.)
بلق balaqa fermer la porte – بلق balq porte, portière ; rideau
علق √‛lq – II. fermer (la porte)
قبل √qbl – قبيلة qabīla grosse pierre qui couvre l’orifice d’une citerne
قفل √qfl – II. fermer à cadenas, cadenasser – قفل qufl cadenas
قلد √qld – إقليد ’iqlīd clé
قلف qalafa calfater (un navire)
لقم laqama boucher, intercepter un passage, un canal
Autres formes de fermeture : le mur, la haie et la digue.
جدر √ǧdr – جدار ǧidār mur, muraille, paroi
حجر √ḥǧr – حاجر ḥāǧir mur, pan de muraille, haie, digue – حاجور ḥāǧūr digue
لقف laqaf parois (d’un mur, d’un bassin en maçonnerie)
C. D’après la profondeur de la gorge
Depuis le simple trou creusé à la surface du sol jusqu’aux plus profonds gouffres de la terre ou abîmes de la mer, en passant par la fosse, le puits et la dépression de terrain, notre corpus est riche en termes désignant des cavités creusées par la nature ou la main de l’homme. Par leurs étymons et leurs racines, ces termes se rattachent clairement à tous ceux que nous avons déjà rencontrés. Il est donc difficile de ne pas y voir des métaphores de la gorge. Qu’on en juge :
جحر ǧaḥr creux très profond, abîme – جحر ǧuḥr trou en terre
جرب √ǧrb – جراب ǧirāb cavité du puits, depuis l’orifice jusqu’à l’eau
جردب √ǧrdb – جرداب ǧirdāb gouffre, abîme de la mer, des eaux
جرّ √ǧrr – جرّارة ǧarrāra terrain déprimé – جرور ǧarūr profond (puits)
جرمز √ǧrmz – جرموز ǧurmūz puits
جفر ǧafr puits plus large vers le fond qu'en haut
جور √ǧwr – جورة ǧūra creux, cavité, trou en terre, fosse
حجر √ḥǧr – حاجر ḥāǧir plateau élevé et renfoncé au milieu
حشرج ḥašrağ creux dans la montage où l’eau dépose et s’épure
رجم raǧam puits ; fossé ; fosse
شرجة šarǧa creux en terre sur lequel on étend une peau pour y donner à boire à un chameau
عقل √‛ql – معقلة ma‛qula creux en terre, fosse où l’eau de pluie est conservée
فلق falaq Enfer, un des fossés de l’Enfer
قلب √qlb – قليب qalīb puits creusé mais qui n’est pas encore muré en dedans ; puits ancien
قلز qalaza faire des trous dans la terre avec le bout d’un bâton
لقي √lqy – ملاقى malāqā orifice, trou, canal des latrines
مقل maql fond d’un puits
Un trou est un lieu dans lequel finissent par tomber les solides et liquides qui s’en approchent de trop près. On ne tombe plus seulement de sa propre hauteur et par suite de la perte de l’équilibre, comme nous l’avons vu au Chapitre 4, mais plus bas que soi-même, dans des fosses parfois creusées à cette intention, ou par accident. On tombe enfin, au sens figuré, dans l’anarchie, la décrépitude ou pire, dans la misère ou le malheur comme on tombe dans l’Enfer :
بجر buǧr malheur
بجرم √bǧrm – بجارم baǧārim malheurs, calamité
جرب √ǧrb – تجارب taǧārib épreuves, malheurs éprouvés
جرد √ǧrd – جارود ǧārūd malheureux, mauvais (an)
جرف √ǧrf – جارف ǧārif malheur, calamité – جاروف ǧārūf malheureux – مجارف muǧārif malheureux, à qui rien ne réussit
عجر √‛ǧr – عجاريّ ‛aǧāriyy malheurs – عجريّ ‛uǧriyy malheur
فرج √frǧ – II. tomber dans la décrépitude
مجر √mǧr – مجرتانِ maǧratāni les deux malheurs qui peuvent arriver et qui arrivent habituellement aux troupeaux, savoir, les maladies et les invasions nocturnes qui les dispersent
هرج haraǧa tomber dans l’anarchie, le désordre
حلق ḥalq malheur
قهل √qhl – VII. et IX. tomber de vieillesse et d’infirmité
ملق √mlq – IV. tomber dans la dernière misère
Dans le corps humain lui-même, il y a d’autres trous que la gorge, disons d’autres orifices notoires, et aussi quelques cavités :
جعر √ǧ‛r – جعراء ǧa‛rā’, جاعرة ǧā‛ira anus, canal de l'anus – جعرّى ǧi‛irrā, مجعر maǧ‛ar anus – جعرانة ǧi‛rāna œil
جفرة ǧufra cavité du ventre ; ventre
جور √ğwr – جار ǧār parties naturelles de la femme ; cul
حجر ḥaǧr orbite de l’œil – حجر ḥiǧr giron, sein ou creux formés par les pans du vêtement relevé sur le devant – حنجر ḥanğara s’enfoncer dans son orbite (œil)
حشرجة ḥašraǧa creux, fossette
شرج šaraǧ parties naturelles de la femme – شرجيّ šarǧiyy anal
عجرم ‛aǧram côté intérieur des fesses chez un mulet
فرج farǧ parties honteuses (tant de l’homme que de la femme, tant de devant que de derrière)
حلق √ḥlq – II. être renfoncé dans son orbite (œil)
قلت qalt creux, cavité (sous les yeux, aux tempes ou au bas du pouce)
مقلة muqla œil
Extension : la présence de termes désignant le sexe de la femme dans le groupe précédent explique peut-être que les items de la liste suivante puissent désigner indifféremment l’un ou l’autre sexe et même, le plus souvent, uniquement celui du mâle ou de l’homme :
جردان ǧurdān verge, pénis
حجر ḥaǧr, ḥiǧr parties de la génération (de l’homme ou de la femme)
عجرد ‛aǧrad verge, pénis
عجرم √‛ǧrm – عجارم ‛uǧārim verge
دقل √dql – دوقل dawqal verge, pénis
شقل √šql – شاقول šāqūl verge, pénis
قبل qubl, qubul parties naturelles (de l’homme ou de la femme)
قلد qild verge, pénis d’une bête de somme
NB : Il est aussi possible que, par sa forme allongée et cylindrique, la verge ait quelque rapport avec les objets vus plus haut (A) dont nous avons dit qu’ils pouvaient évoquer un long cou, ou bien, en raison de sa fonction “pénétrante”, avec les verbes signifiant pénétrer – comme دقل daqala – que nous rencontrerons plus loin (D, extension 1).
D. D’après l’obscurité de la gorge
C’est un aspect de la gorge que le français ignore mais dont la langue arabe témoigne dans diverses réalisations lexicales des étymons ici étudiés : la gorge est un lieu obscur où les choses avalées disparaissent. Cela donnera lieu à la métaphore de base : la caverne, la grotte où les animaux et les hommes peuvent se cacher est clairement comparée à une gorge, mais aussi le golfe entre terre et mer où les embarcations peuvent s’abriter des poursuivants et des tempêtes, et même l’épais fourré, le bois touffu où le gibier espère pouvoir échapper au chasseur. De là tout un lexique de noms désignant le rôle joué par ces lieux protégés et protecteurs où non seulement on peut se cacher soi-même mais aussi cacher ses petits et sa réserve alimentaire : refuge, abri, antre, repaire, gîte, tanière, nid...
جحر ǧaḥr antre – جحران ǧuḥrān repaire
جدر ǧadara se cacher entre les murailles
جرجم √ğrğm – II. se blottir dans son trou
جرّ ǧarr repaire, tanière
جور √ğwr – جوار ǧuwār caverne dans la montagne
حجر ḥaǧara se cacher dans son trou (lézard) – حجر ḥuǧr trou de souris ou de serpent
حرج ḥirǧ qui entre dans son gîte (gazelle) ; épaisseur de la forêt, du bois – حرج ḥaraǧ forêt épaisse – حراج ḥirāǧ épaisseur d’une forêt, des ténèbres
رجل riǧl golfe
رجمة ruǧma repaire de l’hyène
وجر wuǧr caverne, grotte – وجار wiǧār repaire, tanière, terrier
خلق √ḫlq – خليقاء ḫulayqā’ intérieur d’une caverne
لخق √lḫq – لخقوق luḫqūq trou dans la terre qui sert de repaire à un animal
Généralisation 1 : cacher et se cacher ; couvrir
ترج taraǧa être voilé, caché aux regards – ترج tariǧa être obscur et difficile, et comme voilé et caché (se dit d'une science)
جحر ǧaḥara se mettre à l’écart et se cacher
جفر √ǧfr – II. se cacher
حجر √ḥǧr – IV. couvrir, cacher
درمج √drmǧ – III. إدرمّج ’idrammaǧa et إدرنمج ’idranmaǧa entrer quelque part pour se cacher
سبرج sabraǧa cacher, céler ; rendre caché et obscur
عجر √‛ǧr – V. se couvrir, s’envelopper de qqch
عرج √‛rǧ – عارج ‛āriǧ caché, qui est dans un endroit où on le voit pas
دقل daqala se cacher, être caché
Généralisation 2 : se réfugier, enclos, citadelle ; garder, conserver, magasin, cellier
برج bariǧa avoir des provisions abondantes (DRS) – برج burǧ fort, citadelle(4)
جدر √ǧdr – جديرة ǧadīra enclos fait de pierres pour les bestiaux
جشر √ğšr – جاشر ğāšir garde, gardien
جور √ğwr – جار ǧāra chercher refuge, asile – جوار ǧawār protection, patronage(5)
حجر √ḥǧr – VIII. se réfugier chez qqn – حجر ḥaǧr protection, tutelle – حجرة ḥuǧra enclos pour les chameaux – محجر maḥǧir, miḥǧar verger, parc
عقل ‛aqala chercher refuge chez qqn – عقل ‛aql, معقل ma‛qil asile, refuge ; forteresse, fort, citadelle
قفل qafala ramasser et serrer dans un magasin
قلد √qld – قلّيد qillīd magasin, cellier – مقلدة miqlada, مقلاد miqlād armoire, garde-manger
قلعة qal‛a place forte, citadelle
لقن liqn soutien, appui, protection dont on jouit
لوق √lwq – لاق lāqa i se réfugier auprès de qqn
Extension 1 : entrer pour se cacher > entrer, pénétrer ; faire entrer
درج daraǧa introduire, faire entrer, insérer
ردج radaǧa s’avancer, marcher pas à pas
وجر waǧara faire prendre un médicament à un malade en le lui introduisant dans la bouche
دعلق da‛laqa s’engager, s’avancer loin dans qqch (par ex. dans la rivière)
دقل daqala entrer dans
لقي √lqy – IV. jeter dedans, injecter ou pousser dedans
Extension 2 : cacher qqch > cacher la vérité, mentir, tromper
Comme nous l’avons vu dans notre étude Le vocabulaire du mensonge et de la tromperie en arabe classique, une façon de cacher quelqu’un ou quelque chose, c’est de le couvrir, et couvrir la vérité, c’est mentir, tromper :
جبر √ǧbr – جبار ǧabār mensonge
جربز ǧurbuz imposteur – جربزة ǧarbaza tromperie
درج √drǧ – X. tromper qqn
رجب raǧaba calomnier
رجع raǧa‛a simuler la grossesse (se dit d’une chamelle ou d’une ânesse lorsque, pour se faire croire pleine et éloigner le mâle, elle remue la queue, serre les fesses et lâche de l’urine çà et là)
رمج √rmğ – رامج rāmiğ oiseau que le chasseur met comme appât dans le piège destiné à prendre les oiseaux de proie
سرج saraǧa ou sariǧa mentir – سرّاج sarrāǧ menteur
شرج šaraǧa mentir, dire un tas de mensonges
عجر √‛ǧr – عجريّ ‛uǧriyy menteur
فجر faǧara mentir
نرج √nrǧ – نورج nawraǧa calomnier
ألق ’aliqa tromper, décevoir (se dit des éclairs qui ne sont pas suivis de pluie)
برقل barqala mentir
بهلقة bahlaqa mensonge
جفلقة ǧaflaqa hypocrisie
خلق √ḫlq – VIII. inventer qqch, forger un mensonge
سلق salaqa blesser qqn par des propos offensants ou calomnieux
عملق √‛mlq – عملاق ‛amlāq qui trompe par son extérieur élégant, séduisant
فلقان fulqān mensonge palpable, impudent
قذل qaḏala médire de qqn
قلع √ql‛ – قلّاع qallā‛ menteur
ملق malaq flatterie, adulation
ولق walaqa continuer à dire des mensonges
Notes
1. Si ce mot est, comme on le pense, un emprunt au grec ἔγχελυς [égkhelus] de même sens, on voit qu’il n’a pas eu de mal à s’acclimater. On ignore l’origine du mot grec.
2. Un francophone ne manquera pas de penser au terme girafe, de l’italien giraffa, lui-même de l’arabe زرافة zarāfa, lequel est un probable emprunt à une langue africaine. Il n’empêche qu’il est curieux qu’en italien le phonème ǧ se soit substitué au z. Il est aussi possible que cette substitution se soit faite dès le passage de l’arabe classique à la variante dialectale en contact avec l’Italie, surtout s’il existait déjà, comme on le voit, un mot en جرف ǧrf- désignant un autre animal au long cou. Il est enfin également possible que cette variante dialectale ait été plus fidèle que l’arabe classique au mot africain originel.
3. Hors corpus, le mot معنّقات mu‛anniqāt, dérivé de عنق ‛unq "cou" (étymon {q,n}), désigne des "montagnes qui s’étendent loin et forment des gorges".
4. Sur ce mot et sa racine, voir notre étude La tour et les signes du Zodiaque.
5. Noter aussi “CAN. nh. megura grange, magasin” (DRS, GWR fasc. 2, p. 109, rubr. 6).
Chapitre 7. Les racines réapparaissantes
Rarissimes sont dans notre imposant corpus, les racines n’apparaissant que dans un seul chapitre de cette étude, et ce sont pour la plupart des quadriconsonantiques qui semblent bien n’être que de probables extensions de triconsonantiques. Il est même possible que certaines racines isolées n’aient aucun lien morphosémantique réel avec les autres et que leur présence dans le corpus soit le pur fruit du hasard. C’est, par exemple, le cas de أرج ’araǧa "exciter, semer la discorde", seul représentant de la racine أرج √’rǧ, dont l’étymon pourrait bien être {’,r} allumer un feu plutôt que {ǧ,r}.
Il n’est pas non plus très intéressant de mentionner ici les racines n’apparaissant que dans deux ou trois, voire quatre chapitres. En revanche, comme un lecteur attentif aura certainement relevé la présence répétée de certaines racines, il n’est peut-être pas inutile de réunir ici, avec toutes les acceptions relevées et la référence du chapitre, une trentaine de racines championnes de la réapparition, celles qui constitutent pour ainsi dire la colonne vertébrale sémantique de cette étude. Nous les présenterons donc en fonction de leur présence dans les six premiers chapitres ou dans cinq d’entre eux.
A. Racines présentes dans les six premiers chapitres
Tout en haut du palmarès, nous retrouvons sans surprise – chacune avec son extension – les deux racines sur lesquelles nous nous sommes arrêtés dès le premier chapitre : حجر √ḥǧr (+ حنجر √ḥnğr) et حلق √ḥlq (+ حلقم √ḥlqm). Quant aux sept autres racines de ce groupe de tête, nous les avions aussi évoquées très tôt dans la mesure où l’un au moins de leurs dérivés avait une relation sémantique claire avec la gorge ou le cou : ce sont حرج √ḥrğ, عجر √‛ǧr, علق √‛lq, قبل √qbl, قلب √qlb et قلد √qld. Enfin nous n’avons pas hésité à inclure dans ce groupe la racine سلق √slq dont la racine عسلق √‛slq est une assez claire extension.
À propos de علق √‛lq et de قلب √qlb, on aura sans doute remarqué comment les acceptions qui sont maintenant les plus usuelles de ces racines, l’action d’accrocher pour la première et la notion de cœur pour la seconde, sont en fait des sens dérivés dont le sens premier s’est peu à peu effacé à leur profit. C’est d’ailleurs un phénomène que connaissent la plupart des racines. C’est ce qui rend l’étude de leur étymologie à la fois difficile et passionnante.
حجر √ḥǧr (+حنجر √ḥnğr)
1 حنجر ḥanğar, حنجرة ḥanğara gorge, gosier ; gorge de montagne – حنجر ḥanğara égorger ; s’enfoncer dans son orbite (œil) – حنجرة ḥanğara, حنجور ḥunğūr larynx – حنجريّ ḥanğariyy guttural (lettre) – حنجور ḥanğūr gorge, gosier
2 حجر ḥaǧar pierre – حجر ḥaǧr colline sablonneuse – حجرة ḥuǧra plage – حنجور ḥanğūr petit panier ; flacon pour les aromates avec lesquels on lave le corps des morts
3 حجر ḥaǧara empêcher quelqu’un d’approcher, lui interdire l’accès
4 حجر ḥaǧara – II. être entouré du halo (lune) – محجر maḥǧar pourtour, circonférence (d’une ville) – محجر miḥǧar, miḥǧir orbite, cercle de l’œil ; alentour, pays autour d’un bourg – حاجورة ḥāǧūra jeu qui consiste en ce qu’on cherche à attraper la personne qui est au milieu du cercle formé par ceux qui jouent – حجر ḥiǧr parenté, liens du sang ou d’alliance – حجرة ḥaǧra, ḥuǧra côté – حجرة ḥuǧra chambre ; tombeau
5 حجر ḥağara – V. être dur envers qqn – حجر ḥaǧr colline sablonneuse – حاجر ḥāǧir plateau élevé et renfoncé au milieu – حنجر ḥanğara égorger
6 حجر ḥaǧara se cacher dans son trou (lézard) – IV. couvrir, cacher – VIII. se réfugier chez qqn – حنجر ḥanğara s’enfoncer dans son orbite (œil) – حاجر ḥāǧir mur, pan de muraille, haie, digue – حاجور ḥāǧūr digue – حجر ḥaǧr protection, tutelle – حجرة ḥuǧra enclos pour les chameaux – محجر maḥǧir, miḥǧar verger, parc – حجر ḥuǧr trou de souris ou de serpent – حجر ḥaǧr orbite de l’œil – حجر ḥiǧr giron, sein ou creux formés par les pans du vêtement relevé sur le devant – حجر ḥaǧr, ḥiǧr parties de la génération (de l’homme ou de la femme) – حاجر ḥāǧir plateau élevé et renfoncé au milieu – حجرة ḥaǧra vestibule – حجرة ḥuǧra cabinet, cellule
حلق √ḥlq (+ حلقم √ḥlqm)
1 حلق ḥalq gosier, gorge – حلقيّ ḥalqiyy guttural (lettre) – حلقم ḥalqama couper la gorge à qqn – حلقوم ḥulqūm gorge
2 حلق ḥalaqa remplir la citerne d’eau ; raser – II. se gonfler de lait, être rebondi (pis d’une femelle) – حلقة ḥalqa abondance d’eau dans une citerne à peu près remplie jusqu’aux bords – حلق ḥilq nombreux troupeau de bétail – حلقة ḥalqa troupe nombreuse d’hommes ; vase vidé – حوقلة ḥawqala bouteille à goulot long et étroit – ḥulūq al-’arḍ endroits où l’eau coule ou a coulé – حلاق ḥulāq cet état de la femelle quand elle ne conçoit pas après le coït, sans cesser d’être en chaleur
3 حلق ḥalaqa serrer en tordant avec force (une corde) – حلقة ḥalqa corde – حالقة ḥāliqa qui excite les inimitiés et la discorde entre les parents, les proches
4 حلق ḥalaqa entourer, ceindre ; serrer en tordant avec force (une corde) – II. planer et tournoyer dans les airs ; gonfler le ventre, l’arrondir ; être entouré d’un cercle (lune) ; marquer une pièce du troupeau d’une marque ciculaire en forme de boucle – V. s’assoir en cercle, former un cercle – حلق ḥilq, حلقة ḥalqa bague, anneau – حلقة ḥalqa réunion de personnes assises en cercle – حلقة ḥalqa corde – حلاق ḥalāq mort, trépas
5 حلق ḥalaqa blesser à la gorge – II. être au plus haut du ciel (étoile) – حالق ḥāliq montagne élevée – حالوقة ḥālūqa sévère, dur (homme) – حلقم ḥalqama couper la gorge à qqn
6 حلق √ḥlq – II. être renfoncé dans son orbite (œil) – حلق ḥalq malheur
حرج √ḥrğ
1 حرج ḥirǧ collier de coquillages
2 حرجة ḥaraǧa troupeau de chameaux – حرجة ḥurğa petit seau
3 حرج √ḥrğ – II. crier la vente à l’encan – حرجوج ḥurǧūǧ chamelle grande, forte et rapide à la course
4 حرج ḥaraǧa commettre un crime, un péché
5 حرج ḥarağa éprouver un serrement, une angoisse (se dit du cœur, de la poitrine) – IV. réduire à la gêne, à la misère ; forcer qqn à chercher refuge chez un autre
6 حرج ḥaraǧa être serré – حرج ḥaraǧ espace étroit ; défilé, passage étroit – حرج ḥirǧ qui entre dans son gîte (gazelle) ; épaisseur de la forêt, du bois – حرج ḥaraǧ forêt épaisse – حراج ḥirāǧ épaisseur d’une forêt, des ténèbres
عجر √‛ǧr
1 عجر ‛aǧara tourner le cou
2 عجر ‛aǧira être gros, corpulent et ventru – عجّار ‛aǧǧār qui avale des boulettes – معجر mi‛ğar sorte de sac de fibres de palmier
3 عجر ‛aǧara empêcher qqn de faire qqch ; s’éloigner rapidement, partir tout à coup (comme un cheval qui est effrayé)
4 عجر ‛aǧara fondre sur qqn le sabre à la main ; pencher le cou ; revenir, rentrer au milieu des siens, au gîte ; tourner le cou, comme pour se tourner du côté de qqn – عجر ‛aǧira faire des plis
5 عجر ‛aǧara pousser ; sortir, apparaître, se montrer – عجر ‛aǧar, عجرة ‛uǧra saillie, protubérance
6 عجر ‛aǧara boucher, fermer (l’orifice, etc.) – V. se couvrir, s’envelopper de qqch – عجاريّ ‛aǧāriyy malheurs – عجريّ ‛uǧriyy malheur ; menteur – عنجورة ‛unǧūra étui à flacon
علق √‛lq
1 معلاق mi‛lāq langue
2 علق ‛alaqa enlever, arracher avec les dents les feuilles de la cime des plantes – علق ‛aliqa concevoir, retenir d’un mâle ; devenir grosse, enceinte – علّاقة ‛allāqa sperme – علق ‛alaq femme enceinte – علق ‛ilq vin vieux – علق ‛alaq, علاقة ‛alāqa nourriture des bestiaux – علقة ‛ulqa, علاق ‛alāq repas léger, déjeuner – علق ‛alq, ‛ilq sac, petit sac – علق ‛ulaq (pl. de علقة ‛ulqa) grand nombre, foule – عولق ‛awlaq chienne en chaleur – عولق ‛awlaq faim – معلق mi‛laq petit vase dans lequel on trait du lait
3 علق √‛lq – V. se livrer avec assiduité à qqch
4 علق ‛aliqa se suspendre, être suspendu – IV. trouver, rencontrer quelque objet de prix, un trésor – علاقة ‛alāqa mort, trépas – علق ‛alaq, ‛ilq, علوق ‛ulūq attachement, inclination – علوق ‛alūq chamelle qui a de la tendresse pour un petit qui n’est pas à elle ; femme mariée qui a un amant
5 علق ‛aliqa être pris dans les lacets – علق ‛ilq méchant, mauvais homme, suppôt du diable – علقة ‛ulqa volée de coups de bâton – معلوق ma‛lūq celui chez qui une sangsue est suspendue à la gorge
6 علق √‛lq – II. fermer (la porte)
قبل √qbl
1 قبل qabal, قبلة qabla sorte de coquillage que les femmes se mettent au cou en guise de charme pour se faire aimer ; boule oblongue en ivoire que les femmes suspendent à leur cou ou que l’on suspend au cou des chevaux – قبلة qabala coquillages suspendus en guise d’amulette au cou d’un chameau pour conjurer l’effet du mauvais œil
2 قبل qabala prendre avec la main – IV. devenir intelligent après avoir été bouché et stupide – قبل qabal premier coup que l’on boit – قبلة qubla philtre, breuvage à l’aide duquel une femme cherche à se concilier l’amour d’un homme
3 قبل qabila poursuivre une chose avec assiduité – VIII. prononcer un discours, improviser
4 قبل √qbl – IV. arriver, approcher ; fondre sur qqn ; se tourner et se diriger vers un point ; tourner son visage vers un objet – VI. se rencontrer et se trouver face à face les uns avec les autres – X. aller au-devant de qqn, aller à sa rencontre – قابل qābil prochain – قبيل qabīl lignée du père ; famille – قبيلة qabīla tribu – قبلة qibla côté qui nous fait face – قبلة qabala rond au bas du fuseau
5 قبل qabal colline élevée qui nous fait face, versant ou sommet d’une montagne qui est devant nous – قبيل qabīl chef d’une tribu
6 قبل qubl, qubul parties naturelles (de l’homme ou de la femme) – قبيلة qabīla grosse pierre qui couvre l’orifice d’une citerne
قلب √qlb
1 قليب qulayb coquillages ou autres petits objets en agate, que l’on porte sur soi comme charme propre à fasciner et à concilier l’amour d’une personne
2 قلب qalb pur, sans mélange ; la partie la plus pure, la plus essentielle ; cœur ; moelle du palmier – قلاب qilāb, قلوب qalūb, قلّوب qallūb, qillūb, قلّيب qillīb loup
3 قلب qalaba – VII. être troublé, dans l’agitation
4 قلب qalaba détourner, tourner qqch du côté de qqn ; tourner, retourner – قلب qaliba être renversé, retourné (lèvre) – VII. se tourner vers qqch – قلّب qullab qui sait se retourner, habile dans la conduite des affaires – قلبة qalaba défaut, vice
5 قلب qalaba frapper qqn au cœur
6 قليب qalīb puits creusé mais qui n’est pas encore muré en dedans ; puits ancien – قلب qulb serpent blanchâtre
قلد √qld
1 قلادة qilāda collier – إقليد ’iqlīd cou
2 قلد qalada recueillir (l’eau, le lait, le vin) dans un vase ou un réservoir ; arroser les céréales – قلد qild coupe à boire ; troupe d’hommes – قلدة qilda dattes – مقلد miqlad bourse – مقلد miqlad sac à fourrage
3 قلد √qld – V. s’atteler à (une tâche) – قلد qild commencement d’un accès de fièvre, du paroxysme ; fièvre quarte
4 قلد qalada entourer qqch de fil de fer ; rouler une chose sur une autre ; tordre (une corde) – V. se ceindre (d’une arme) – XIII. ’iqlawwada s’emparer entièrement de qqn (sommeil) – قليد qalīd tressé ; cordon, ruban, galon – إقليد ’iqlīd corde tressée de feuilles de palmier avec laquelle on noue un panier à dattes ; fil de fer ou de cuivre – مقلد miqlad bâton recourbé en haut avec lequel on tourne ou tortille qqch
5 قلد √qld – IV. envelopper qqn de ses flots et le noyer (mer) – مقلّد muqallad chef (d’une tribu)
6 قلد qild verge, pénis d’une bête de somme – إقليد ’iqlīd clé – قلّيد qillīd magasin, cellier – مقلدة miqlada, مقلاد miqlād armoire, garde-manger
سلق √slq (+ عسلق √‛slq)
1 عسلق ‛aslaq, ‛isliq qui a le cou long
2 سلق salaqa enduire une outre à lait pour l’assouplir ; oter, enlever la viande de dessus l’os ; cohabiter avec une femme – سلقة silqa louve – سلقان silqān loups – عسلق ‛aslaq, ‛isliq tout animal carnassier ; lion ; loup ; renard
3 سلق salaqa courir ; crier, pousser un cri – V. être en proie à l’inquiétude et s’agiter sur son lit – سلّاق sallāq qui a de la faconde, éloquent – سالقة sāliqa femme qui pousse des cris et qui se frappe la figure – سلقة silqa femme criarde et dévergondée – عسلق ‛aslaq, ‛isliq léger, agile, leste
4 سلق salaqa renverser qqn de manière à le faire tomber sur le dos – سليق salīq côté du chemin
5 سلق salaqa bouillir, faire bouillir ; frapper, percer qqn avec une lance – V. se hisser au haut du mur – سلّاق sullāq Ascension (fête religieuse) – سلاق salāq tumeur, enflure – عسلق ‛aslaq, ‛isliq méchant
6 سلق salaqa blesser qqn par des propos offensants ou calomnieux – سلق silq lit d’un cours d’eau – عسلق ‛aslaq, ‛isliq autruche
B. Racines présentes dans cinq chapitres dont le premier
جرب √ǧrb
1 جربان ǧirbān col, collet
2 جراب ǧirāb sac de berger, sac de voyage ; sac en cuir ; scrotum – جرباء ǧarbā’ (terre) frappée de sécheresse et de stérilité – جريب ǧarīb grand cours d’eau qui reçoit des affluents – جربّة ǧarabba troupe d’hommes ; troupeau d’ânes – جرنبة ǧaranba troupeau d’ânes
3 جربّانة ǧiribbāna femme criarde et dévergondée
4 جربان ǧirbān ceinture
6 تجارب taǧārib épreuves, malheurs éprouvés – جراب ǧirāb cavité du puits, depuis l’orifice jusqu’à l’eau – جريب ǧarīb vallée – جورب ǧawrab bas ou chaussettes – جربان ǧirbān et جربّان ǧurubbān fourreau de sabre
جرّ √ǧrr
1 جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux en guise d’ornement – جرير ǧarīr licou, bride
2 جرّ ǧarra extraire, faire sortir ; laisser paître le chameau en continuant la route ; porter le fœtus au-delà du temps ordinaire – IV. ruminer – جرّ ǧarr corbeille, panier – جرّة ǧarra jarre – جرّة ǧirra troupe d’hommes, peuplade, tribu qui émigre ou change d’habitation – جرّار ǧarrār armée nombreuse, qui traîne à sa suite des hommes de service et des bagages – جرّيّة ǧirriyya gésier (chez certains oiseaux) ; estomac (d’oiseau) – جرّة ǧirra, ǧarra aliment en rumination – جارور ǧārūr cours d’eau, ruisseau – جرّارة ǧarrāra terrain déprimé, encaissé, couvert de cailloux
4 جارور ǧārūr pivot sur lequel la porte tourne – جريرة ǧarīra péché, délit, crime, méfait
5 جرّ √ǧrr – IV. porter un coup de lance – جرّة ǧarra, ǧurra piège en bois avec un coulant à l’aide duquel on prend les gazelles
6 جرّارة ǧarrāra terrain déprimé – جرور ǧarūr profond (puits) – جرّارة ǧarrāra terrain encaissé – جرّ ǧarr repaire, tanière – جرّة ǧarra, ǧurra piège en bois à l’aide duquel on prend les gazelles – جرّيّ ǧirriyy anguille
سجر √sǧr
1 ساجور sāǧūr collier (en cuir ou en fer)
2 سجر saǧara remplir (le lit du fleuve) d’eau ; verser (de l’eau) dans le gosier, l’y faire descendre – ساجر sāǧir lit d’un fleuve, ou lieu que l’eau remplit en y affluant – سجرة suǧra eau qui remplit le lit d’un cours d’eau – أسجر ’asǧar lion
3 سجر saǧara pousser un cri perçant et prolongé (se dit d’une chamelle, quand elle témoigne par sa voix sa tendresse pour son petit)
4 سجر √sǧr – III. entretenir des rapports d’amitié avec qqn – سجير saǧīr ami sincère et dévoué ; compagnon – مسجّر musaǧǧar, مسجور masǧūr pendant, qui descend, qui tombe vers la terre (chevelure, draperie)
5 سجر √sǧr – II. au passif se gonfler (mer agitée)
فلق √flq
1 فليق falīq veine qui paraît comme gonflée au cou ; partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier
2 فلق falaqa arracher (la laine) sur la peau de la bête – تفيلق tafaylaqa être très gros et très gras – فلق falaq reste de lait au fond d’un vase – فيلق faylaq corps d’armée au-dessus de cinq mille hommes
3 تفيلق tafaylaqa courir avec la plus grande vitesse
5 فلق falaq aurore
6 فلق falq crevasse – فلق falaq terrain encaissé entre deux montagnes ; Enfer, un des fossés de l’Enfer – فلقان fulqān mensonge palpable, impudent
قذل √qḏl
1 قذال qaḏāl col (d’une veste)
3 قذل qaḏala s’appliquer à qqch
4 قذل qaḏala s’écarter de la ligne droite et agir avec injustice – قذل qaḏil vice, défaut
5 قذل qaḏala frapper sur la tête
6 قذل qaḏala médire de qqn
C. Racines présentes dans les chapitres 2 à 6
On trouvera dans ce groupe des racines intéressantes de plusieurs points de vue : la plupart sont encore très usuelles, au moins par certains de leurs dérivés, et très polysémiques, comme رجل √rǧl ou عقل √‛ql. Rien ne laissait supposer a priori qu’il pouvait bien y avoir entre elles un lien morpho-sémantique puisqu’aucun de leurs dérivés ne désigne la gorge ou le cou ni quoi que ce soit ayant un rapport direct avec cette partie du corps. Il est cependant légitime de penser que ces racines, au vu de leur présence dans les cinq autres chapitres, ont jadis eu un mot qui aurait eu sa place dans le Chapitre 1 mais que ce mot a disparu. Nous reviendrons en annexe sur la racine جور √ğwr qui, rappelons-le, a été en quelque sorte le déclencheur de cette étude.
جدر √ǧdr
2 جدر ǧadura être digne de qqch, apte ou propre à qqch – جدر ǧadr racine ; racine, origine ; mathém. racine carrée ou cube – جدراء ǧadrā’ dont la peau est rongée, mangée et sans poil (brebis)
3 مجدار miǧdār épouvantail qu’on dresse dans les blés pour en éloigner des animaux
4 جدر ǧadara faire élever une muraille autour de quelque chose
5 جدر ǧadara avoir au cou une blessure faite par un animal, et le cou enflé ; s’élever au-dessus du sol (plantes qui commencent à couvrir le sol) – جدرة ǧadara cicatrice
6 جدر ǧadara se cacher entre les murailles – جدار ǧidār mur, muraille, paroi – جديرة ǧadīra enclos fait de pierres pour les bestiaux
جور √ğwr
2 جور √ğwr – IV. mettre, serrer les outils, des objets dans un sac ou un étui – V. couler – جاير ǧāyir grand seau – جوار ǧawār eau qui se trouve en abondance – جور ǧiwar pluie accompagnée du bruit du tonnerre
3 جور ǧiwar pluie accompagnée du bruit du tonnerre ; qui a une voix forte, retentissante
4 جار ǧāra s’écarter de la ligne droite, du but ; aller à côté du but, le manquer ; être injuste, commettre une injustice à l’égard de quelqu’un (comme juge) – III. être voisin de quelqu’un – V. tomber, crouler ; tomber sur le côté – VI. et VIII. être voisin, voisins les uns des autres ; être en rapports de bon voisinage – جار ǧār voisin ; ami ; maison voisine ; associé dans le commerce ; lié par les liens de patronage et de clientèle ; mari – جارة ǧāra voisine ; femme, épouse – جوار ǧawār voisinage
5 جار ǧāra opprimer qqn, agir en tyran – جوريّ ǧawriyy oppressif, despotique, tyrannique
6 جار ǧāra chercher refuge, asile – II. creuser, faire un creux – IV. mettre, serrer les outils, des objets dans un sac ou un étui – جوار ǧawār protection, patronage – جوار ǧuwār caverne dans la montagne – جورة ǧūra creux, cavité, trou en terre, fosse – جوّار ǧawwār laboureur – جار ǧār parties naturelles de la femme ; cul
درج √drǧ
2 درجة durǧa boîte à bijoux
3 درج daraǧa faire sauter les uns par-dessus les autres ; s’en aller, partir – X. parler, prononcer des paroles – دارج dāriǧ parlé (langue) ; tremblant (son de la voix du chanteur)
4 درج daraǧa rouler, ployer un papier ou une pièce d’étoffe
5 درج dariǧa monter par degrés
6 درج daraǧa introduire, faire entrer, insérer – X. tromper qqn
دقل √dql
2 دقل daqal chargé de fruits (palmier) ; dattes de qualité inférieure – دوقل dawqala cohabiter avec une femme ; happer et avaler qqch
3 دقل daqala empêcher qqn d’approcher
4 دوقل dawqala pendre, être pendant
5 دقل daqala frapper qqn sur quelque partie de la tête
6 دقل daqala se cacher, être caché ; entrer dans – دوقل dawqal verge, pénis
رجل √rǧl
2 رجل raǧala couvrir une femelle ; téter sa mère à son aise – رجل riǧl excrément, ordure ; nuée de sauterelles – رجلة riǧla cours d’eau qui descend d’un rocher dans la plaine – أرجل ’arǧal dur et raboteux, semé de pierres (sol) – مرجل mirǧal grand chaudron – مرجّل muraǧǧal petite outre
3 رجل √rǧl – VIII. parler sans préparation, improviser un vers, réciter de mémoire – رجل raǧl saut, bond – رجلة raǧla précipitation avec laquelle on marche, pas précipité
4 رجل raǧala lier et suspendre une bête par les pieds – رجل riǧl somnolent, qui dort toujours
5 رجل raǧala blesser qqn au pied ; toucher, frapper qqn au pied – V. s’élever, être avancé (jour)
6 رجل riǧl golfe ; jambe de pantalon, de caleçon – رجلة riǧla lit d’un torrent
رجم √rǧm
2 رجم raǧama couper, arracher, séparer du tout – رجام riǧām grande pierre
3 رجم raǧama éloigner, repousser qqn à coups de pierres ; maudire, accabler de malédictions ; passer rapidement en courant
4 رجم raǧam, رجمة ruǧma tombeau – رجم raǧm compagnon, camarade – رجم raǧam frères
5 رجم raǧama tuer, assassiner
6 رجم raǧam puits ; fossé ; fosse – رجمة ruǧma repaire de l’hyène
شجر √šǧr
2 شجر šaǧira abonder, être nombreux – III. dévorer toutes les herbes ; ronger les arbres – IV. se couvrir d’arbres, de plantes – شجرة šaǧara tige, tronc ; plante à tige ; arbuste ; arbre
3 شجر šaǧara éloigner, repousser ; lier, serrer, attacher – VII. devancer, gagner de vitesse
4 شجر šaǧara détourner
5 شجر šağara percer avec une lance
6 شجار šiǧār morceau de bois servant de verrou – شجرة šaǧara tige, tronc ; plante à tige ; arbuste ; arbre
ضرج √ḍrǧ
2 ضرج ḍarağa salir, imprégner de qqch de sale – مضرج miḍraǧ lambeau d’étoffe ou de vêtement usé
3 ضرج √ḍrǧ – II. stimuler sa monture à la marche – ضريج ḍarīǧ rapide et violent (pas de la course)
4 ضرج √ḍrǧ – VII. fondre d’en haut sur sa proie
5 ضرج √ḍrǧ – V. se montrer dans tout l’éclat de ses atours ; se répandre (éclat des éclairs)
6 ضرج ḍarağa fendre
عرج √‛rǧ
2 عرج ‛arǧ, ‛irǧ troupeau de chameau de quatre-vingts à cent cinquante, de cinq cents à mille – عرجاء ‛arǧā’ hyène – عراج ‛urāǧ hyènes
3 عرج √‛rǧ – V. se livrer à qqch, s’en donner à cœur joie
4 عرج ‛ariǧa boiter – II. prendre à droite ou à gauche pour faire halte – V. serpenter, zigzaguer – VII. incliner, être incliné, s’incliner d’un côté – تعاريج ta‛ārīǧ méandres (d’un fleuve), plissements (de terrain) – منعرج mun‛araǧ détour, coude, sinuosité (d’un fleuve, etc.) – عرجة ‛arǧa, ‛urǧa penchant, inclination que l’on a pour qqch
5 عرج ‛araǧa monter, s’élever à l’aide d’une échelle – عريجاء ‛urayǧā’ midi, heure de midi
6 عارج ‛āriǧ caché, qui est dans un endroit où on le voit pas
عقل √‛ql
2 عقل ‛aqala manger de l’herbe ; comprendre, saisir (par l’intelligence) – عاقول ‛āqūl monticule de sable ; pleine mer, les vagues de la mer
3 عقل ‛aqala lier, attacher, retenir dans les liens – معقل ma‛qil tout lien qui retient qqn et l’empêche de sortir – عقلة ‛aqla sorte de lapsus linguae
4 عقل ‛aqala renverser qqn par un croc-en-jambe – عاقل ‛āqil héritier le plus proche – عاقلة ‛āqila parents du côté du père – عاقول ‛āqūl détour, sinuosité, coude que fait un fleuve ou une vallée
5 عقل ‛aqala être vertical (ombre à midi) ; monter bien haut sur la montagne (chamois) – معقل ma‛qil montagne très haute – عقيلة ‛aqīla chef d’une tribu, d’une famille
6 عقل ‛aqala chercher refuge chez qqn – عقل ‛aql, معقل ma‛qil asile, refuge ; forteresse, fort, citadelle – معقلة ma‛qula creux en terre, fosse où l’eau de pluie est conservée
قلز √qlz
2 قلز qalaza boire dans un trou, humer l’eau qui est dans un trou
3 قلز qalaza sauter, faire un saut – V. courir lestement (chamois, gazelles, etc.)
4 قلز qalaza clocher, boiter
5 قلز qalaza frapper – قلزّ qilizz, quluzz très dur et inhumain
6 قلز qalaza faire des trous dans la terre avec le bout d’un bâton
قلس √qls
2 قلس qalasa boire beaucoup de vin fait de dattes ; cracher ou vomir ; saigner (plaie) – قلوسات qulūsāt coupes à boire
3 قلس qalasa chanter avec art
4 قلس qals grosse corde tressée, câble de vaisseau
5 قلّاسة qallāsa vigoureux coup de lance – قلنسوة qalansuwa bonnet pointu, mitre
6 أنقليس ’anqalīs anguille
قلع √ql‛
2 قلع qala‛a arracher, ôter qqch de sa place – VIII et X. enlever, ravir – قيلع qayla‛ femme au corps épais – قلع qala‛ pierre
3 قلع √ql‛ – IV. larguer les voiles, mettre à la voile, partir
4 قلعة qulu‛a instabilité
5 قلاعة qulā‛a rocher isolé dans la plaine
6 قلّاع qallā‛ menteur – قلعة qal‛a place forte, citadelle – قلعة qala‛a grande chamelle
وجر √wǧr
2 وجر √wǧr – V. avaler un médicament ; boire qqch à contre-cœur
3 وجر waǧira avoir peur de qqch et chercher à s’en garantir – وجر waǧr bruit – أوجر ’awǧar tumulte (d’une armée, etc.) (DRS)
4 أوجر ’awǧar très circonspect et méticuleux
5 وجر √wǧr – IV. contraindre à (DRS)
6 وجر waǧara faire prendre un médicament à un malade en le lui introduisant dans la bouche – وجر wuǧr caverne, grotte – وجار wiǧār repaire, tanière, terrier – وجرة waǧra ruelle que l’on creuse exprès et qui aboutit à une fosse pour prendre les bêtes féroces
Chapitre 8. Les parallélismes sémantiques
Même si notre étude est à elle seule la démonstration d’un archi-parallélisme sémantique entre deux étymons, nous ne pouvions la clore sans satisfaire à une demande légitime de la communauté scientifique : la preuve par les parallélismes sémantiques au niveau des racines(1). On trouvera donc ci-après, classés par ordre alphabétique à partir d’un mot-clé, une cinquantaine de parallélismes sémantiques tels que nous avons pu les relever dans nos six premiers chapitres.
Pour garantir la présence explicite ou implicite du sens “gorge” ou “cou” comme terme central, nous nous sommes limité aux items figurant dans le Chapitre 1, le terme afférent étant quant à lui présent dans l’un des autres chapitres. Dans la mesure où des termes afférents comme “manger”, “crier” ou “trou” auraient pu être choisis comme termes centraux, de multiples autres parallélismes auraient pu être établis mais tel n’était pas notre objectif car tel n’était pas notre point de départ. Nous nous contenterons de regretter qu’un item ayant le sens de “gorge” ou de “cou” ait disparu de certaines racines réapparaissantes (voir Chapitre 7, C) dans lesquelles tout laisse supposer qu’un tel item a probablement existé.
Le numéro entre parenthèses est celui du chapitre où figure le thème représenté par le mot-clé.
AGITATION (3)
قليب qulayb coquillages que l’on porte sur soi // VII. être troublé, dans l’agitation
إقليد ’iqlīd cou // قلد qild commencement d’un accès de fièvre, du paroxysme ; fièvre quarte
قلقى qalqā collier // قلق qalaq trouble, inquiétude, agitation
لقلق laqlaq langue // لقلق laqlaqa agiter qqch de manière qu’on entende le bruit – II. s’agiter, être agité – ملقلق mulaqlaq mobile, toujours en mouvement (regard, œil)
ASSIDUITÉ, application (3)
جران ǧirān bas de l’encolure // جرن ǧarana s’appliquer à qqch, y travailler avec assiduité
معلاق mi‛lāq langue // V. se livrer avec assiduité à qqch
قبل qabal sorte de coquillage que les femmes se mettent au cou // قبل qabila poursuivre une chose avec assiduité
قذال qaḏāl col (d’une veste) // قذل qaḏala s’appliquer à qqch
إقليد ’iqlīd cou // V. s’atteler à (une tâche)
ATTACHER, empêcher (3)
حلق ḥalq gorge // حلق ḥalaqa serrer en tordant avec force (une corde) – حلقة ḥalqa corde
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧara empêcher qqn de faire qqch
هجار hiǧār chaîne portée au cou en guise d'ornement // هجير haǧīr empêché, retenu
BOIRE et boissons (2)
جرعة ǧur‛a gorgée // جرع ǧara‛a boire par gorgées, absorber
ساجور sāǧūr collier // سجر saǧara verser (de l’eau) dans le gosier, l’y faire descendre
معلاق mi‛lāq langue // علق ‛ilq vin vieux
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // قبل qabal premier coup que l’on boit – قبلة qubla philtre, breuvage à l’aide duquel une femme cherche à se concilier l’amour d’un homme
BRILLER, aurore, zénith (5)
حلق ḥalq gorge // II. être au plus haut du ciel (étoile)
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // فلق falaq aurore
هجار hiǧār chaîne portée au cou en guise d'ornement // هاجرة hāǧira heure de midi, où la chaleur est le plus intense
BRUIT (3)
جرم ǧirm gosier // جرم ǧirm bruit, son
لقلق laqlaq langue // لقلق laqlaqa produire un claquement (cigogne)
CARNIVORES (2)
ساجور sāǧūr collier // أسجر ’asǧar lion
عسلق ‛aslaq qui a le cou long // عسلق ‛aslaq tout animal carnassier ; lion ; loup ; renard
قليب qulayb coquillages // قلاب qilāb et variantes : loup
CEINTURE, se ceindre (4)
جربان ǧirbān col, collet // جربان ǧirbān ceinture
إقليد ’iqlīd cou // V. se ceindre (d’une arme)
CHEF (5)
قبل qabal sorte de coquillage que les femmes se mettent au cou // قبيل qabīl chef d’une tribu
إقليد ’iqlīd cou // مقلّد muqallad chef (d’une tribu)
COUPER, raser (2)
جذر ǧaḏr, ǧiḏr base du cou // جذر ǧaḏara couper, retrancher en coupant
جرم ǧirm gosier // جرم ǧarama couper, retrancher
حلق ḥalq gorge // حلق ḥalaqa raser
COURBE, rond, pli, rouler, entourer, tordre (4)
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧira faire des plis
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // قبلة qabala rond au bas du fuseau
إقليد ’iqlīd cou // مقلد miqlad bâton recourbé en haut avec lequel on tourne ou tortille qqch – قلد qalada rouler une chose sur une autre ; entourer qqch de fil de fer ; tordre (une corde)
COURS D’EAU (2)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جارور ǧārūr cours d’eau, ruisseau
جربان ǧirbān col, collet // جريب ǧarīb grand cours d’eau qui reçoit des affluents
CRIER (3)
جربان ǧirbān col, collet // جربّانة ǧiribbāna femme criarde et dévergondée
جرم ǧirm gosier // جرم ǧirm cri
حرج ḥirǧ collier de coquillages // II. crier la vente à l’encan
ساجور sāǧūr collier // سجر saǧara pousser un cri perçant et prolongé (se dit d'une chamelle, quand elle témoigne par sa voix sa tendresse pour son petit)
ÉGORGER, blesser (5)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux en guise d’ornement // IV. porter un coup de lance
حلق ḥalq gorge // حلق ḥalaqa blesser à la gorge
حلقوم ḥulqūm gorge // حلقم ḥalqama couper la gorge à qqn
حنجر ḥanğar gorge // حنجر ḥanğara égorger
معلاق mi‛lāq langue // علقة ‛ulqa volée de coups de bâton – معلوق ma‛lūq celui chez qui une sangsue est suspendue à la gorge
قليب qulayb coquillages que l’on porte sur soi // قلب qalaba frapper qqn au cœur
لقّاعة luqqā‛a prononciation très gutturale // لقع laqa‛a piquer (serpent)
ÉTRANGLER, étouffer, noyer, angoisse (5)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّة ǧarra, ǧurra piège en bois avec un coulant à l’aide duquel on prend les gazelles
حرج ḥirǧ collier de coquillages // حرج ḥarağa éprouver un serrement, une angoisse (se dit du cœur, de la poitrine)
معلاق mi‛lāq langue // علق ‛aliqa être pris dans les lacets
إقليد ’iqlīd cou // IV. envelopper qqn de ses flots et le noyer (mer)
ÉTROIT, serré, se contracter (6)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّارة ǧarrāra terrain encaissé
جربان ǧirbān col, collet // جربز ǧarbaza se contracter
حرج ḥirǧ collier de coquillages // حرج ḥaraǧa être serré – حرج ḥaraǧ espace étroit ; défilé, passage étroit
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // فلق falaq terrain encaissé entre deux montagnes
قفلة qafla derrière de la tête // قفيل qafīl défilé, chemin étroit à travers les montagnes
EXCITER (3)
جرم ǧirm gosier // جرم ǧarama porter, exciter qqn à faire qqch
حلق ḥalq gorge // حالقة ḥāliqa qui excite les inimitiés et la discorde entre les parents, les proches
FAUTE, crime (4)
جرم ǧirm gosier // جرم ǧarama commettre un délit, un crime contre qqn
جران ǧirān bas de l’encolure // حرج ḥaraǧa commettre un crime, un péché
قليب qulayb coquillages que l’on porte sur soi // قلبة qalaba défaut, vice
FERMER, boucher, couvrir (6)
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧara boucher, fermer (l’orifice, etc.) – V. se couvrir, s’envelopper de qqch
معلاق mi‛lāq langue // II. fermer (la porte)
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // قبيلة qabīla grosse pierre qui couvre l’orifice d’une citerne
قفلة qafla derrière de la tête // قفل qafala ramasser et serrer dans un magasin – II. fermer à cadenas, cadenasser – قفل qufl cadenas
إقليد ’iqlīd cou // إقليد ’iqlīd clé – قلّيد qillīd magasin, cellier – مقلدة miqlada, مقلاد miqlād armoire, garde-manger
FONDRE sur qqn (4)
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧara fondre sur qqn le sabre à la main
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // IV. fondre sur qqn
إقليد ’iqlīd cou // XIII. ’iqlawwada s’emparer entièrement de qqn (sommeil)
FOSSÉ, Enfer, malheur (6)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّارة ǧarrāra terrain déprimé
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجاريّ ‛aǧāriyy malheurs – عجريّ ‛uǧriyy malheur
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // فلق falaq Enfer, un des fossés de l’Enfer – فلق falq crevasse
GRAND, gros et gras (2)
جرم ǧirm gosier // IV. être grand, gros, d’un grand volume
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧira être gros, corpulent et ventru
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // تفيلق tafaylaqa être très gros et très gras
INCLINATION (4)
ساجور sāǧūr collier // III. entretenir des rapports d’amitié avec qqn – سجير saǧīr ami sincère et dévoué ; compagnon
معلاق mi‛lāq langue // علق ‛alaq, علوق ‛ulūq attachement, inclination
LONG COU, long col (6)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّيّ ǧirriyy anguille
عجر ‛aǧara tourner le cou // عنجورة ‛unǧūra étui à flacon
عسلق ‛aslaq qui a le cou long // عسلق ‛aslaq autruche
قليب qulayb coquillages que l’on porte sur soi // قلب qulb serpent blanchâtre
لقلق laqlaq langue // لقلق laqlaq ou لقلاق laqlāq cigogne
MANGER et nourriture (2)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّ ǧarra laisser paître le chameau en continuant la route – IV. ruminer
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجّار ‛aǧǧār qui avale des boulettes
معلاق mi‛lāq langue // علق ‛alaq, علاقة ‛alāqa nourriture des bestiaux – علقة ‛ulqa, علاق ‛alāq repas léger, déjeuner
إقليد ’iqlīd cou // قلدة qilda dattes
مرجان marǧān collier de corail // مرج maraǧa lâcher au paturage, laisser paître sa monture, etc. – مرج marǧ pré, prairie
MÉCHANCETÉ (5)
حرج ḥirǧ collier de coquillages // IV. réduire à la gêne, à la misère ; forcer qqn à chercher refuge chez un autre
حلق ḥalq gorge // حالوقة ḥālūqa sévère, dur (homme)
معلاق mi‛lāq langue //علق ‛ilq méchant, mauvais homme, suppôt du diable
عسلق ‛aslaq qui a le cou long // عسلق ‛aslaq méchant
MENSONGE (6)
جربان ǧirbān col, collet // جربز ǧurbuz imposteur – جربزة ǧarbaza tromperie
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجريّ ‛uǧriyy menteur
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // فلقان fulqān mensonge palpable, impudent
قذال qaḏāl col (d’une veste) // قذل qaḏala médire de qqn
MONTAGNE, colline (5)
جردح ǧardaḥa allonger le cou // جرداح ǧirdāḥ collines
حلق ḥalq gorge // حالق ḥāliq montagne élevée
قبل qabal sorte de coquillage que les femmes se mettent au cou // قبل qabal colline élevée qui nous fait face, versant ou sommet d’une montagne qui est devant nous
MORT (4)
معلاق mi‛lāq langue // علاقة ‛alāqa mort, trépas
مرجان marǧān collier de corail // مرج mariǧa tomber et rester gisant et abandonné par terre
PARLER, bavard (3)
قبل qabal sorte de coquillage que les femmes se mettent au cou // VIII. prononcer un discours, improviser
لقّاعة luqqā‛a prononciation très gutturale // V. déblatérer – لقعة luqa‛a bavard et hâbleur
لقلق laqlaq langue // لقلق laqlaq ou لقلاق laqlāq bavard
هجار hiǧār chaîne portée au cou en guise d'ornement // IV. se moquer de qqn ; tenir à qqn un langage indécent
PENCHER (4)
جرعة ǧur‛a gorgée // IV. se pencher, s’incliner
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧara pencher le cou
POLI, net, pur (2)
جرم ǧirm gosier // IV. être pur, franc (couleur, teinte) ; être pur, net (voix)
جران ǧirān bas de l’encolure // جرن ǧarana être fourbi, poli (cuirasse)
قليب qulayb coquillages // قلب qalb pur, sans mélange
مرجان marǧān collier de corail // مارج māriǧ pur, sans fumée (feu)
PRENDRE, enlever, arracher (2)
جذر ǧaḏr, ǧiḏr base du cou // جذر ǧaḏara extirper, arracher
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّ ǧarra extraire, faire sortir
جرم ǧirm gosier // جرم ǧarama dépouiller et alléger le palmier en enlevant les grappes de dattes ; prendre, enlever ; enlever la laine des moutons
لقّاعة luqqā‛a prononciation très gutturale, du fond du gosier // لقع laqa‛a enlever rapidement avec le bout des lèvres ou du bec
معلاق mi‛lāq langue // علق ‛alaqa enlever, arracher avec les dents les feuilles de la cime des plantes
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // فلق falaqa arracher (la laine) sur la peau de la bête
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // قبل qabala prendre avec la main
PUITS (6)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرور ǧarūr profond (puits)
قليب qulayb coquillages que l’on porte sur soi // قليب qalīb puits creusé mais qui n’est pas encore muré en dedans ; puits ancien
QUITTER qqn (4)
جرم ǧirm gosier // II. quitter, laisser là sa tribu pour émigrer
هجار hiǧār chaîne portée au cou en guise d'ornement // هجر haǧara rompre avec qqn et s’éloigner
RAPIDITÉ (3)
حرج ḥirǧ collier de coquillages // حرجوج ḥurǧūǧ chamelle rapide à la course
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧara s'éloigner rapidement, partir tout à coup (comme un cheval qui est effrayé)
عسلق ‛aslaq qui a le cou long // عسلق ‛aslaq léger, agile, leste
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // تفيلق tafaylaqa courir avec la plus grande vitesse
لقّاعة luqqā‛a prononciation très gutturale // لقع laqa‛a passer rapidement
RÉCIPIENTS pour liquides (2)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّة ǧarra jarre
جران ǧirān bas de l’encolure // جرن ǧurn grande auge, bassin en pierre ou en bois ; urne, vasque
حرج ḥirǧ collier de coquillages // حرجة ḥurğa petit seau
حلق ḥalq gorge // حلقة ḥalqa vase vidé – حوقلة ḥawqala bouteille à goulot long et étroit
حنجر ḥanğar gorge, gosier // حنجور ḥanğūr flacon pour les aromates avec lesquels on lave le corps des morts
معلاق mi‛lāq langue // معلق mi‛laq petit vase dans lequel on trait du lait
إقليد ’iqlīd cou // قلد qalada recueillir (l’eau, le lait, le vin) dans un vase – قلد qild coupe à boire
هجار hiǧār chaîne portée au cou en guise d'ornement // هجير haǧīr grand abreuvoir ; grande coupe à boire
REGARDER (4)
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // IV. tourner son visage vers un objet
قفلة qafla derrière de la tête // IV. suivre qqn des yeux
REMPLIR, abondance (2)
حلق ḥalq gorge // حلق ḥalaqa remplir la citerne d’eau – II. se gonfler de lait, être rebondi (pis d’une femelle) – حلقة ḥalqa abondance d’eau dans une citerne à peu près remplie jusqu’aux bords
ساجور sāǧūr collier // سجر saǧara remplir (le lit du fleuve) d'eau – سجرة suǧra eau qui remplit le lit d'un cours d'eau – ساجر sāǧir lit d'un fleuve, ou lieu que l'eau remplit en y affluant
REPAIRE, tanière, gîte, forêt épaisse (6)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // repaire, tanière
حرج ḥirǧ collier de coquillages // حرج ḥirǧ qui entre dans son gîte (gazelle) – حرج ḥaraǧ forêt épaisse – حراج ḥirāǧ épaisseur d’une forêt, des ténèbres
RETOUR (4)
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧara revenir, rentrer au milieu des siens, au gîte
قفلة qafla derrière de la tête // IV. ramener qqn, le faire retourner d’un voyage – قفل qafl caravane à son retour
RUT du mâle et chaleur de la femelle (2)
حلق ḥalq gorge // حلاق ḥulāq cet état de la femelle quand elle ne conçoit pas après le coït, sans cesser d’être en chaleur
معلاق mi‛lāq langue // عولق ‛awlaq chienne en chaleur
قفلة qafla derrière de la tête // قفل qafala être en rut
SAC, panier (2)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // corbeille, panier
جربان ǧirbān col, collet // جراب ǧirāb sac
جرم ǧirm gosier // sac
حنجر ḥanğar gorge, gosier // حنجور ḥanğūr petit panier
عجر ‛aǧara tourner le cou // معجر mi‛ğar sorte de sac de fibres de palmier
معلاق mi‛lāq langue // علق ‛alq, ‛ilq sac, petit sac
إقليد ’iqlīd cou // مقلد miqlad bourse ; sac à fourrage
SAILLIE, protubérance (5)
جرعة ǧur‛a gorgée // جرعة ǧaru‛a monticule de sable
ساجور sāǧūr collier // II. au passif se gonfler (mer agitée)
عجر ‛aǧara tourner le cou // عجر ‛aǧar, عجرة ‛uǧra saillie, protubérance – عجر ‛aǧara pousser ; sortir, apparaître, se montrer
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // فليق falīq veine qui paraît comme gonflée au cou
SEXE (6)
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // قبل qubl, qubul parties naturelles (de l’homme ou de la femme)
إقليد ’iqlīd cou // قلد qild verge, pénis d’une bête de somme
SOL dur, sec, stérile ; sable et cailloux (2)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّارة ǧarrāra terrain déprimé, encaissé, couvert de cailloux
جربان ǧirbān col, collet // جرباء ǧarbā’ (terre) frappée de sécheresse et de stérilité
جرعة ǧur‛a gorgée // جرعة ǧaru‛a, ǧara‛a terrain sablonneux, monticule de sable
جران ǧirān bas de l’encolure // جرن ǧaran sol dur et inégal
SOTTISE (3)
لقّاعة luqqā‛a prononciation très gutturale // لقّاعة luqqā‛a sot
هجار hiǧār chaîne portée au cou en guise d'ornement // IV. radoter, dire des absurdités, des sottises, battre la campagne
TOMBER, être suspendu (4)
جرعة ǧur‛a gorgée // IV. tomber
ساجور sāǧūr collier // مسجّر musaǧǧar, مسجور masǧūr pendant, qui descend, qui tombe vers la terre (chevelure, draperie)
معلاق mi‛lāq langue // علق ‛aliqa se suspendre, être suspendu
(se) TOURNER vers (4)
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // IV. se tourner et se diriger vers un point
قليب qulayb coquillages que l’on porte sur soi // VII. se tourner vers qqch
TROUPE et troupeau (2)
جرّ ǧarr coquillages qu’on attache au cou des animaux // جرّة ǧirra troupe d’hommes, peuplade, tribu qui émigre ou change d’habitation – جرّار ǧarrār armée nombreuse, qui traîne à sa suite des hommes de service et des bagages
جربان ǧirbān col, collet // جربّة ǧarabba troupe d’hommes ; troupeau
حرج ḥirǧ collier de coquillages // حرجة ḥaraǧa troupeau de chameaux
حلق ḥalq gorge // حلق ḥilq nombreux troupeau de bétail – حلقة ḥalqa troupe nombreuse d’hommes
معلاق mi‛lāq langue // علق ‛ulaq (pl. de علقة ‛ulqa) grand nombre, foule
فليق falīq partie déprimée du cou du chameau correspondant au canal du gosier // فيلق faylaq corps d’armée au-dessus de cinq mille hommes
قفلة qafla derrière de la tête // IV. rassembler, réunir plusieurs personnes pour traiter une affaire – قفل qufl, قافلة qāfila troupe de voyageurs, caravane
إقليد ’iqlīd cou // قلد qild troupe d’hommes
TROUVER, rencontrer (4)
معلاق mi‛lāq langue // IV. trouver, rencontrer quelque objet de prix, un trésor
قبل qabal coquillage que les femmes se mettent au cou // VI. se rencontrer et se trouver face à face les uns avec les autres – X. aller au-devant de qqn, aller à sa rencontre
Notes
1. Voir dans la bibliographie les articles de Michel Masson sur serrer et couler.
Conclusion
Par la vertu des métaphores et des dérivations sémantiques en chaîne, nous aurons, tout au long de cette étude, vérifié qu’il était plausible que les nombreux et divers vocables que nous y avons rencontrés trouvent leur origine dans les désignations primales de cette partie du corps que nous appelons en français gorge ou cou. Partie vitale de notre corps ou de celui de la plupart des animaux, elle est le passage étroit mais obligé de la nourriture entre la bouche et l’estomac et celui du sang entre le cœur et le cerveau ; elle est le pivot qui permet un regard rapide autour de soi en gardant le reste du corps immobile ; elle est enfin le lieu où naissent d’abord le cri puis les formes d’expression de plus en plus élaborées qui permettront la vie en société et les échanges intellectuels.
C’est dire toute l’importance de la gorge et du cou pour nombre d’espèces animales et notamment pour l’homme. On comprend que le vocabulaire qui semble en être issu ait foisonné au fil des siècles. Encore n’avons-nous qu’effleuré le sujet car nous disposons de plusieurs indices qui convergent vers la probable existence de ce que Bohas appellerait une “matrice phonétique de la gorge et du cou”, dont les traits seraient, sauf erreur, {[dorsale],[+sonant]}. On n’aurait guère de difficulté à refaire pour d’autres étymons présentant ces traits ce que nous avons fait ici pour {ǧ,r} et {q,l}, ne serait-ce, pour commencer, qu’en croisant ces derniers. Observons ces échantillons de racines non ambigües :
Étymon {ǧ,l}
جول ǧūl parois intérieures d’une fosse, d’un puits, de la mer
جلا ǧalā – II. jeter, mettre de la nourriture, du fourrage devant une bête, lui en donner
جلجل ǧalǧala mêler, brouiller, confondre ; avoir un hennissement clair et sonore ; tonner, gronder (tonnerre) – II. plonger, entrer dedans, entrer dans la terre
جلّ ǧalla – II. couvrir, recouvrir – جلال ǧulāl qui brait d’une voix retentissante (âne)
لاج lāǧa tourner et retourner qqch dans la bouche
لجّ laǧǧa – IV. mugir (chameau) –VIII. être mêlé, confus (sons, voix) – لجّ luǧǧ grande masse d’eau ; pleine mer, abîmes de la mer ; lieu roide et escarpé d’une montagne
لجلج laǧlaǧa retourner dans sa bouche le morceau que l’on mange ; répéter les mêmes mots en parlant ; balbutier une réponse
وجيل waǧīl et موجل mawǧil creux dans lequel l’eau stagnante croupit
ولج walaǧa entrer, pénétrer dans l’intérieur de qqch – ولجة walaǧa caverne, grotte – تولج tawlaǧ repaire d’une bête fauve ou féroce
Étymon {q,r}
رقرق raqraqa agiter, remuer
رقّ raqqa être mince, fin, délicat – IV. asservir qqn, faire de qqn un esclave – X. être absorbé presque entièrement (eau) – رقّ raqq eau peu profonde et guéable – رقّ riqq branches d’arbres jeunes et minces dont les bestiaux se nourrissent – رقق raqaq désert
رقو raqw monticule de sable
رقى raqā monter, s’élever par degrés (sur une échelle)
روق rwq – IV. répandre, verser, laisser couler – V. déjeuner – روق rawq hutte du chasseur ; nid, gîte
راق rāqa être agité et briller à fleur de terre ; être répandu (eau) ; vomir
قرّ qarra souffler secrètement qqch dans l’oreille de qqn, lui dire qqch tout bas – قرر qurar gorgée – قرّة qurra reste de soupe au fond d’un vase – قرّيّة qirriyya gésier d’oiseau – مقرّة maqarra endroit resserré, étroit, où l’on abreuve les bestiaux
قرق qaraqa tromper qqn – قرق qarq gloussement de la poule
قرقر qarqara roucouler (pigeon), grogner, faire entendre comme un bruit de gargarisation (chameau), glousser (coq), grouiller (ventre) ; fredonner un air pour stimuler ses chameaux à la marche
قرا qarā percer qqn avec la lance – قرو qarw abreuvoir, bassin ; tuyau par lequel s’écoule le suc du raisin exprimé dans le pressoir – قروة qarwa haut de la tête – المقاري al-maqārī les sommets des collines
قرى qarā régaler qqn comme son hôte en lui présentant telle ou telle chose à manger ; faire affluer l’eau dans un réservoir ; diriger ses yeux sur un objet et faire suivre à son œil cet objet ; lire – قريّ qariyy canal, ruisseau par lequel l’eau descend des collines ; endroit au bas d’une hauteur où s’amasse l’eau qui descend des hauteurs
قارة qāra colline isolée, énorme rocher isolé
وقر waqara charger, accabler qqn, le faire plier sous le fardeau ; fendre, crevasser, fêler – II. blesser – X. devenir très gras, chargé de chairs (chameau) – وقر waqr cavité dans un rocher ; cavité de l’œil – وقير waqīr grand creux dans un rocher où l’eau s’amasse et demeure stagnante ; très pauvre, accablé par la misère
Sans commentaire.
Nous pourrions continuer avec d’autres combinaisons {[dorsale],[+sonant]}, et on verrait apparaître chaque fois et ensemble les mêmes champs sémantiques que cette étude a révélés. Nous ne le ferons pas mais nous espérons que de jeunes étudiants se prendront au jeu et verront là un bon sujet de maîtrise ou de diplôme.
Pour notre part il nous suffit d’avoir résolu le mystère de la polysémie de certaines racines encore très usuelles comme, par exemple, حلق √ḥlq ou جور √ǧwr, et d’avoir compris que le supposé sens premier de nombre d’entre elles – et qui est, en somme, leur commun dénominateur à toutes – est rarement celui que nous leur avions attribué à partir des seules acceptions actuellement les plus fréquentes de leurs dérivés. C’est en reconstituant les familles élargies des mots qu’on parvient à remonter assez haut dans leur arbre généalogique pour pouvoir relier entre eux les sens des plus polysémiques.
En marge
1. Retour sur la séquence GWR (DRS, fasc. 2 p. 109)
Sauf erreur, notre étude La gorge et le cou semble rendre compte non seulement de l’ensemble de la notice de Kazimirski sur la racine arabe جور √ǧwr mais aussi des six premiers sens indiqués dans le DRS pour cette racine sémitique. Vérifions :
1. hôte, étranger, voisin, maison, demeure temporaire, chambre
– Un hôte (> étranger) est quelqu’un qu’on doit nourrir (Chapitre 2) et dont on doit assurer la protection, dont on doit être le refuge (Chapitre 6).
– Une chambre est une petite pièce (Chapitre 6, extension de exigüité) ; maison et demeure temporaire sont de probables extensions de chambre.
2. commettre l’adultère, s’écarter du chemin, être injuste envers qqn, pécher, bord, angle, crête, être hautain, audacieux.
– commettre l’adultère, s’écarter du chemin, être injuste envers qqn, pécher, bord
Relèvent de la fonction giratoire (Chapitre 4).
– angle, crête, être hautain, audacieux
Relèvent fonction vitale (Chapitre 5, extension de percer).
3. provoquer, attaquer, poignard, épée
Relèvent de la fonction vitale (Chapitre 5).
4. avoir peur
Relève de la fonction vocale : on crie par peur ou pour effrayer (Chapitre 3).
5. jeune garçon, jeune fille, petit d’animal
Relève de la petitesse, donc de l’exigüité de la gorge (Chapitre 6).
6. grange, magasin, caverne
Relèvent de la notion de cachette, lieu obscur (Chapitre 6).
2. Des rapports avec l’indo-européen ?
Nous laisserons les spécialistes de l’indo-européen s’interroger sur un éventuel rapport des mots latins vorare avaler, engloutir et gurges gosier avec le grec γῦρος [gûros] cercle, rond ; fosse creusée circulairement pour planter un arbre.
Et nous laisserons les spécialistes du nostratique s’interroger
– d’une part sur un éventuel rapport avec la séquence sémitique GR- des mots latins en gr-, gar-, ger-, gor-, gur-, gyr-, dont la plupart sont dits, par le Dictionnaire étymologique de la langue latine, d’origine « populaire » ou « expressive » ou « sans étymologie »,
– et d’autre part sur un éventuel rapport avec la séquence sémitique QL- de la racine indo-européenne *kwel- « tourner, cercle ».
3. À propos de جوريّ ǧawriyy "gaouri, giaour"
Dans le nº 8 du Bulletin de la SELEFA, Abdelmajid El Houssi avait écrit un article intitulé Sur gaouri et ses ascendants. Il se rangeait du côté de ceux qui voient dans ce mot un dérivé de كفر √kfr via le persan et le turc. Nous ne croyons pas beaucoup à cette étymologie : elle nous semble bien compliquée et beaucoup moins économique qu’une simple dérivation à partir de جور √ǧwr. Il est par ailleurs un peu surprenant que Reig ne donne de ce mot que les sens de “oppressif, despotique, tyrannique”. C’est plutôt vers le sens de "voisin-étranger" que nous le tirerions, conformément à la première rubrique du DRS (voir ci-dessus). Le gaouri / giaour, c’est l’Autre, une sorte d’Extra-terrestre. Le sens du mot est bien illustré par cette citation :
« Aziyadé me regardait fixement. Devant un Turc, elle se fût cachée ; mais un giaour n’est pas un homme. » (Pierre Loti, Aziyadé, 1879)
Bibliographie
– ALLOT, Robin (1973), The Physical Foundation of Language:The Exploration of a Hypothesis, Hertfordshire: Able Publishing.
– BELOT, Jean-Baptiste, Dictionnaire arabe-français « El-faraïd », Imprimerie catholique, Beyrouth, 1955.
– BOHAS, Georges (2016), L’illusion de l’arbiraire du signe, Presses universitaires de Rennes.
– BOHAS, Georges et SAGUER, Abderrahim (2012), Le son et le sens, Fragment d’un dictionnaire étymologique de l’arabe classique, Damas, Presses de l’IFPO.
– COHEN, David (1970), Dictionnaire des racines sémitiques ou attestées dans les langues sémitiques, Paris / La Haye, Mouton (fasc. 1 et 2) ; Louvain / Paris, Peeters fasc. 3 à 10, avec la collaboration de F. Bron et A. Lonnet), 1993-2012.
– DOLGOPOLSKY, A. (2008). Nostratic Dictionary (http://www.dspace.cam.ac.uk/handle/1810/196512)
– EL HOUSSI, Abdelmajid (2006), “Sur gaouri et ses ascendants”, dans Bulletin de la SELEFA nº 8.
– ERNOUT, Alfred et MEILLET, Antoine (1932), Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, réédition 2000.
– KAZIMIRSKI, A. de Biberstein (1860), Dictionnaire arabe-français, Paris, Maisonneuve et Cie.
– MASSON Michel (2013), « Perles, coraux et bilitères », in Semitica et Classica, Vol. VI, Brepols Publishers, pp. 269-278.
– MASSON, Michel (1991a), Étude d’un parallélisme sémantique : « tresser » / « être fort », in Semitica XL, p. 89-105, Paris, Maisonneuve.
– MASSON, Michel (1991b), Quelques parallélismes sémantiques en relation avec la notion de « couler », in Semitic Studies in honor of Wolf Leslau, p. 1024-1041, Wiesbaden, Otto Harrassowitz.
– REIG, Daniel (1983), Dictionnaire arabe-français français-arabe « As-Sabil », Paris, Librairie Larousse.
– ROLLAND Jean-Claude (2016), « La tour et les signes du Zodiaque », dans Langues et Littératures du Monde Arabe, LLMA nº 10. (En ligne).
– ROLLAND, Jean-Claude (2017), « Cohabiter avec une femme : le vocabulaire de l’acte sexuel en arabe classique d’après les données du dictionnaire de Kazimirski », dans Langues et littératures du monde arabe, LLMA nº 11. (En ligne).
– ROLLAND, Jean-Claude (2017), « Éclats de roche : une étude d’étymologie sur les noms de la pierre en latin, grec et arabe », dans Journal of Arabic and Islamic Studies, Dossier spécial : Approaches to the Etymology of Arabic (En ligne).
– ROLLAND, Jean-Claude (2017), « Pluies et parfums », dans Dix études de lexicologie arabe, 2e édition, J.C. Rolland, Meaux.
– ROLLAND, Jean-Claude (2018), « Le vocabulaire du mensonge et de la tromperie en arabe classique », dans Le blog de Jean-Claude Rolland. (En ligne)
– ROLLAND, Jean-Claude (2018), « Les racines quadriconsonantiques à séquence initiale عن ‛n- », dans Le blog de Jean-Claude Rolland. (En ligne).
– ROLLAND, Jean-Claude (2018), « Sorbet et moucharabieh : Une étude de la racine شرب √šrb à partir de la notice du dictionnaire de Kazimirski », dans Le blog de Jean-Claude Rolland. (En ligne).
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